Aussi loin qu’elle s’en souvienne, Sao Cheio a toujours senti le besoin de tendre la main aux autres. Une prédisposition pas si commune, mais tellement naturelle pour la mère de famille originaire du Portugal, qui se demande bien ce qu’elle va pouvoir raconter à son interlocuteur venu lui rendre visite, dans sa maison coquette, quartier de Courty à Thiers.
L’histoire est pourtant peu banale, mais simple à la fois. Elle témoigne de l’investissement sans faille d’une bénévole et salariée auprès des jeunes des quartiers populaires de Thiers depuis 18 ans, de la volonté de faire bouger les lignes sans discours militant, de favoriser la mixité sociale.
Faire cohabiter les différentes culturesIl y a près de 20 ans, avec l’entraide comme moteur, Sao Cheio franchi les portes d'une association de quartier pour animer un premier atelier d’enfants. Une plongée dans l’inconnu pour cette femme élégante, de confession catholique, qui trouve vite sa place comme un poisson dans l’eau. "Je m’adapte toujours facilement, je me sens d’égal à égal avec les personnes et je crois que j’aime vraiment les enfants", explique la mère de famille.
Passionnée par les arts décoratifs, elle propose lors de ses ateliers le mercredi après-midi dans les quartiers des Molles-Cizolles et Béranger (une fois sur deux), de réaliser des créations imaginées dans son petit atelier, chez elle. Des rendez-vous hebdomadaires de 3 heures qui débordent le plus souvent, « je prends mon après-midi pour eux », et qui a vu passer plusieurs générations de jeunes de ces quartiers. "Beaucoup d’entre eux, lorsqu’ils ont grandi, me reconnaissent, certains reviennent aux ateliers, ils aiment l’ambiance."
Forcément patiente, la bénévole devenue salariée au sein de l'association ActiVIEtés sait aussi mettre du lien pour faciliter la cohésion d’un groupe composé de différentes cultures. "Il faut savoir lever les incompréhensions de la part de chacun", explique celle qui avoue parfois se sentir un peu dépassée face au quotidien de ces enfants. "Je vois des petits à manche courte en hiver, des parents qui confient à leurs enfants de 8 ans, un autre d’un an dont ils doivent s’occuper à l’atelier, chose qu’ils font d’ailleurs très bien", détaille celle qui n’est jamais au bout ses surprises.
J’accueille actuellement de jeunes enfants venus du Soudan qui n’avaient jamais vu un sèche-cheveux de leur vie.
La dure réalité s’invite parfois dans ces après-midis suspendus dans le temps. "Pour la fête des pères, un enfant m’a expliqué qu’il ne pouvait rien créer, car il avait perdu son papa. Je lui ai tout de suite dit qu’il pouvait réaliser quelque chose pour son oncle."
Attirer les "hauts-quartiers"À l’entendre développer l’histoire de son engagement, il est facile d’imaginer Sao Cheio au milieu du tumulte, entourée des mères de famille venues prêter main-forte. Et en creusant un peu plus, c’est peut-être aussi cette atmosphère que celle qui, arrivée de son Portugal, il y a 33 ans, cherche à retrouver. "Ces bruits de la rue, ces enfants dehors, ça me rappelle ceux provenant de la fenêtre de ma grand-mère lorsque j’étais enfant au Portugal. Aujourd’hui, mis à part ces quartiers, il n’y a plus beaucoup d’animation à Thiers." Ces quartiers, elle voudrait les voir s’ouvrir aux autres. "Personnellement, je n’ai jamais eu aucun problème avec les habitants. C’est vrai qu’ils ont tendance à ne pas vouloir sortir, ils se sentent un peu stigmatisés. "Alors, pour faire tomber les barrières, à travers la Maison de quartier où elle s’investit désormais, Sao Cheio tente de rassembler, avec les moyens du bord.
Nous présentons les activités lors du Forum des associations à Thiers, mais les parents des “hauts quartiers” ne veulent pas envoyer leurs enfants à Béranger ou aux Molles-Cizolles, alors que ces après-midis sont ouverts à tous. C’est comme ça, on ne peut rien y faire.
Avant de conclure l’entretien, Cheio Sao, raccompagnant aux portes de sa maison à Courty, donne peut-être et enfin, au détour d’une simple phrase, les raisons profondes d’un engagement infaillible de près de 20 ans. "Je ne sais pas pourquoi je ne me suis pas plus investie dans le quartier qui est le mien, peut-être que je sentais que les habitants ici n’avaient pas besoin de moi."
Yann Terrat