Lorsque l'on tombe sur le répondeur du restaurant Bib gourmand L'Auberge de la Baraque, situé à une petite demi-heure de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), c'est la voix de la cheffe qui nous accueille. Avant de nous inviter à laisser un message, elle égrène les services affichant d'ores et déjà complet. Ce mercredi de la mi-mars, pas la peine d'envisager de déjeuner ou dîner à l'auberge un dimanche d'ici fin mai. "Les gens ne viennent pas chez nous à l'improviste, c'est une sortie qu'ils anticipent", sourit Géraldine Laubrières. A une soixantaine de kilomètres de là, plus au sud du département, le petit village de Boudes est connu pour son activité viticole, et pour son restaurant Le Boudes La Vigne, lui aussi distingué d'un Bib au Guide Michelin.
2008-2023 : ces deux tables du Puy-de-Dôme situées à la campagne arborent depuis quinze ans cette distinction du Guide Michelin. Mais derrière les chiffres et les années, que représente ce Bib gourmand ? Interview croisée de leurs propriétaires.
Quel souvenir gardez-vous de votre premier guide Bib gourmand ?
Géraldine Laubrières, propriétaire et cheffe du restaurant L'Auberge de la Baraque à Orcines.
Géraldine Laubrières, cheffe et propriétaire de l'Auberge de La Baraque (Orcines). "Je m'en souviens très bien (rires). J'avais la tête dans le guidon, ma fille avait deux mois. On savait que le Guide Michelin était passé car ils s'étaient présentés. Deux messieurs étaient venus manger, donc c'était insoupçonnable. Mais à la fin, ils ont demandé à me parler. Il y avait un inspecteur plus âgé, qui allait partir à la retraite, et un plus jeune, qui commençait. Ils m'ont posé des questions, sans me parler ma cuisine. J'étais un peu inquiète, je leur ai alors demandé si elle leur avait plu. Ils m'ont répondu que si cela n'avait pas été le cas, ils ne seraient pas là, en train de parler avec moi. Cela m'a rassurée et effectivement, l'Auberge figurait dans les Bib gourmands du Michelin 2008".
Christian Coutarel, chef et propriétaire du restaurant Le Boudes La Vigne (Boudes). "Je me souviens qu'un inspecteur du Michelin était venu manger avant la sortie du guide 2008. A l'époque, le restaurant que nous avions créé avec mon épouse Annabelle était référencé dans le guide depuis 1995. Après ce fameux repas, l'inspecteur s'était présenté. Dans la conversation, il m'avait demandé sur quel créneau je voulais me positionner : le Bib ou l'étoile. C'était le Bib que nous visions. Il nous a été décerné en 2008, et chaque année depuis".
Le stress est-il toujours présent chaque année avant la sortie du guide ?
Christian Coutarel, propriétaire et chef du restaurant Le Boudes La Vigne et son épouse Annabelle.- Géraldine Laubrières. "Je dois le dire honnêtement, pas vraiment. On sait que nous l'avons eu, que nous n'avons rien changé dans notre façon de cuisiner. Au contraire, on fait toujours tout pour s'améliorer. On travaille pour aller de l'avant, pas pour régresser. On ne se met pas tellement la pression. J'avoue que si c'était une étoile, ce ne serait pas le cas. Mais de toute façon c'est le jeu : quand on décide de rentrer dans un guide, on sait qu'on peut en sortir".
- Christian Coutarel. "Cette distinction, c'est une reconnaissance pour nous et pour l'équipe. On attend les résultats tous les ans car on découvre la sélection en même temps que tout le monde. Donc le stress est vraiment le même, chaque année depuis quinze ans !"
Le Bib gourmand c'est quoi exactement ? Les inspecteurs du Guide Michelin choisissent chaque année dans cette sélection les établissements "qui se distinguent par leur très bon rapport qualité-prix et proposent, midi et soir, au moins un menu complet pour un prix maximum d’une quarantaine d’euros". Dans le guide 2023, sept restaurants sont distingués d'un Bib gourmand dans le Puy-de-Dôme Le Boudes de la vigne (Boudes), Le 62, Le Chardonnay, L'Ecureuil et Le Saint-Eutrope (Clermont-Ferrand), B2K6 (Lempdes), L'Auberge de la Baraque (Orcines).
Comment votre cuisine a-t-elle évolué en quinze ans ?
Géraldine Laubrières. "Huit ans après avoir reçu mon premier Bib, le jeune inspecteur dont je vous parlais est revenu prendre un repas au restaurant. Je ne l'avais pas du tout reconnu d'ailleurs (sourire). Il m'a dit que ma cuisine avait évolué, qu'elle était plus moderne. Cela nous a fait plaisir. Ces dernières années, je me suis entourée d'une équipe complète de professionnels. J'ai une seconde de cuisine qui est fan de déco, elle soigne beaucoup la présentation des assiettes. Pour l'inspiration, nous avons les magazines et les réseaux sociaux qui n'existaient pas il y a quinze ans et qui nourissent notre réflexion quand on travaille sur un plat. C'est vrai que lorsque je regarde d'anciens menus, je me dis qu'il y a des recettes que je ne referais plus de la même façon. Et puis il y a aussi certains plats qui sont présents dans le menu depuis quinze ans, comme le foie gras poêlé du domaine de Limagne. J'ai essayé de l'enlever mais je l'ai vite remis ! Je ne ressens pas de lassitude à le cuisiner car je vois les gens le manger avec toujours autant de plaisir".
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Christian Coutarel. "Ma cuisine est la même dans le sens où mes bases cela reste Escoffier. Dans l'assiette, ce qui reste important pour moi, c'est le produit, le respect des cuissons et le goût. Ma cuisine a évolué dans le sens où la mode culinaire a évolué. On ne connaissait pas les cuissons à basse température, du nouveau matériel est apparu. Cela nous permet des cuissons d'une grande précision, pour cuire un œuf parfait une heure à 64 degrés par exemple".
Quelle est votre clientèle et quel est l'impact du Bib gourmand ?
Géraldine Laubrières." Chez nous, 95 % de l'activité provient de la clientèle locale. Elle vient essentiellement du Puy-de-Dôme, de l'Allier et de la Haute-Loire. Nous nous avons fait depuis longtemps le choix de ne pas avoir de carte mais des menus. Quand on vient chez nous, c'est pour manger une entrée, un plat et un dessert, pas pour manger un plat du jour. Nous voulons être une parenthèse gastronomique dans la journée des gens. Une table "de campagne" - et ce n'est pas péjoratif au contraire - où l'on vient pour passer un bon moment, manger, rigoler, discuter. Les gens réservent toujours un mois et demi à l'avance".
À l'Auberge de la Baraque, la clientèle locale représente la majeure partie du chiffre d'affaires.
"L'été et pendant les vacances la clientèle est un peu différente. Le restaurant est toujours fermé en juillet et août, nous avons beaucoup de touristes qui s'arrêtent sur la route des vacances. Et là, ce sont vraiment des clients qui viennent chez nous parce que nous sommes dans les Bib gourmands du Michelin"
"Cette distinction est une reconnaissance importante, nous en sommes fiers. Vous savez, quand j'ai monté L'Auberge de la Baraque, je voulais que ce soit un restaurant accessible à tous. Qui propose un bon rapport qualité-prix et accueille une clientèle sympa, qui se sente chez nous un peu comme à la maison. Et cette récompense qu'est le Bib gourmand, elle me correspond vraiment".
Les repas de famille représentent une grande partie de notre chiffre d'affaires", explique le chef du restaurant Le Boudes La Vigne.
Christian Coutarel. "Nous sommes un restaurant installé à la campagne, donc le temps consacré chez nous au déjeuner ou au dîner n'a rien à voir avec un restaurant de centre-ville. Personne ne vient pour la pause déjeuner. Et comme nous sommes excentrés, les gens réservent à l'avance. Ils ne vont pas risquer de se casser le nez en arrivant ! Les repas de famille représentent une grande partie de notre chiffre d'affaires. Nous avons la chance d'avoir une très belle clientèle locale, qui ne s'évapore pas pendant la période estivale, et est rattrapée par les touristes. Ceux-ci ne vont pas hésiter à sortir de l'autoroute pour venir manger chez nous et ça c'est vraiment l'effet Bib gourmand".
Propos recueillis par Catherine Jutier