Après "Le tourisme a-t-il encore un avenir ?", les quatrièmes Rencontres du tourisme métropolitain organisées récemment, à Royat, se sont intéressées au "tourisme responsable".
Parmi les invités du jour, figurait notamment Philippe Violier, professeur émérite de géographie. Cet ancien directeur de l’Esthua, faculté de tourisme, culture et hospitalité à Angers, est l’auteur de diverses publications sur ces thématiques. Et pour lui tout d’abord, il faudrait revoir ce qualificatif de "tourisme durable".
"Une mauvaise traduction ?""L’expression de tourisme durable est discutable sur le plan linguistique, débute Philippe Violier. Parce que c’est une mauvaise traduction de l’anglais “sustainable tourism”, qu’on pourrait traduire plus facilement par tourisme soutenable. Parce que durable, en français, ça veut dire durer.
Or, le tourisme dure depuis trois siècles, y compris dans certains lieux. Si on va à Nice, Chamonix, Deauville…, ça fait trois siècles que ça dure et on ne voit pas très bien comment ça va s’arrêter, alors que des villes industrielles anciennes comme Thionville, Valenciennes ou Détroit, aux États-Unis, sont passées par de grandes difficultés, c’est pour ça que durable, ça me paraît un peu bizarre."
"Quid des enjeux environnementaux""Ce qui me gêne, c’est que les tourismes durables apparaissent comme une forme de tourisme à côté de tas d’autres tourismes. Il n’est pas impossible qu’on arrive à une centaine de tourismes de quelque chose : blanc, vert, bleu, rural, etc.
Pour moi, la prise en compte des enjeux climatiques est ancienne. Elle date à peu près des années 1980, avec notamment la Loi littoral et la Loi montagne. En revanche, il y a une acuité nouvelle. Avec le Covid, cette problématique environnementale est ressortie encore plus vigoureuse qu’avant.
Du coup, c’est pour ça que je parle de quatrième révolution touristique, au sens où les préoccupations environnementales arrivent au premier plan. Ça, c’est un changement ! Jusqu’à présent, les touristes aimaient se promener à la montagne, au bord de la mer, etc., mais les enjeux environnementaux n’étaient pas fondamentaux."
"Le tourisme, cette recréation de l’individu""Le premier enjeu, c’est que le tourisme est indispensable au bonheur des gens. Fondamentalement, le tourisme, c’est la recréation des individus. La civilisation industrielle a fortement accru les contraintes qui pesaient sur les individus, en particulier avec l’instauration du travail en usine, et ces contraintes pèsent de plus en plus aujourd’hui.
S’il y a des cures pour que les personnes se détachent un petit peu de leur téléphone comme de leur ordinateur, ce n’est pas un hasard. À partir de là, le tourisme est indispensable. D’ailleurs, on l’a vu avec le Covid.
Pour moi, le tourisme est une mobilité qui a pour finalité la recréation. Les individus sont épuisés par le travail et ont besoin d’un long moment, une semaine ou quinze jours, pour se reconstruire. C’est vraiment une recréation dans le sens où ça peut amener un enrichissement personnel, mais aussi du repos… Après, la question, c’est comment on fait pour que ce soit compatible avec les problématiques environnementales ?"
Tous ensemble et pas qu’une minorité"ll faut que ce soit l’ensemble du tourisme qui soit impliqué dans le tourisme durable. Sinon, on a l’impression qu’il n’y a qu’une petite partie qui sera vertueuse. Je pourrais faire une analogie avec le commerce bio : pendant tout un temps, le commerce bio se faisait uniquement dans des boutiques spécialisées, séparées, alors qu’aujourd’hui, vous avez des rayons bio dans les supermarchés.
Pour moi, l’enjeu pour le tourisme, c’est d’être comme dans les supermarchés : tous les acteurs du secteur sont préoccupés par les enjeux climatiques et pas seulement une minorité."
Réfléchir aux transports"Il faut que le système touristique évolue pour intégrer la question environnementale. Il y a, bien sûr, la question des transports. C’est-à-dire qu’il faut peut-être arrêter d’aller passer le week-end à Berlin, par exemple, et plutôt intégrer la découverte de Berlin dans un séjour plus long.
On ne fait pas l’aller-retour en avion, avec le problème, malgré tout, que c’est moins cher. Il faut favoriser le train et ne favoriser l’avion que quand c’est indispensable."
Quid de la proximité ?"Certains posent la solution de la proximité, le tourisme de proximité. Cela existe déjà, et on veut bien, mais seulement si on la choisit. Il y a des propositions qui permettent de choisir la proximité.
Par exemple, la Loire à vélo est un itinéraire cyclotouristique le long de la Loire mis en place par les régions Centre et Pays de la Loire, avec sept départements. C’est un itinéraire sécurisé où il y a de l’information, des services, où on peut faire l’aller en vélo, le retour en train… C’est une organisation très sophistiquée qui fait que si on choisit de faire la Loire à vélo, c’est vraiment un choix, on n’est pas puni. C’est un exemple de tourisme durable parce que c’est la proximité, on se déplace à vélo et on revient en train."
Bientôt la base du choix de sa destination ?"Aujourd’hui, les professionnels sont bien conscients des problématiques, d’autant qu’il y a également un enjeu pour eux car est-ce que l’attention des individus par rapport aux questions environnementales ne va pas devenir une des bases du choix des destinations ?
Dans quelle mesure, aujourd’hui, les individus ne vont pas se dire “Je vais plutôt à Clermont parce qu’ils ont l’air attentifs à l’environnement plutôt qu’à tel autre endroit où ils font n’importe quoi par exemple ?” Pour l’instant, il semble que ce ne soit pas vraiment le cas. Mais ça peut le devenir.
En tout cas, il y a déjà des manifestations, des déclarations d’individus sur le refus de l’avion, l’usage du train. On peut avoir aussi un jour un problème sur les destinations."
Gaëlle Chazal