Vous souvenez-vous du vol du trésor de Gimel en 1991 ? Retour sur un casse hors norme dans une église de Corrèze

Dans la nuit du 22 au 23 juillet 1991, le trésor de Gimel-les-Cascades (Corrèze) et sa pièce maîtresse, la châsse saint Etienne datée du XIIe siècle, disparaissent de l’église, jetant la stupéfaction sur toute la petite commune. Retour sur ce vol inédit commis par une équipe de pros, et l’issue en partie heureuse de celui-ci, avec une partie du butin inestimable retrouvée en Italie un an plus tard au terme d’une enquête internationale.

De l’épais dossier qu’il a conservé de l’époque des faits, Alain Sentier sort une enveloppe bleue portant l’entête de France Télécom et marqué « télégramme ». À l’intérieur, un message au style dactylographié et rédigé en majuscules : " Monsieur le maire, apprenant le vol de la chasse saint Etienne et de plusieurs pièces de valeur dans l’église, sachez que je partage la consternation et l’inquiétude qui sont les vôtres. j’espère que les efforts entrepris pour retrouver ces pièces d’une valeur inestimable seront rapidement couronnés de succès."

Le télégramme signé de Jack Lang, alors ministre de la Culture, a été reçu par le maire de Gimel-les-Cascades dans la foulée du vol inédit commis dans la nuit du 22 au 23 juillet 1991. "L’abbé Latour, qui s’occupait d’ouvrir chaque jour l’église, venait de découvrir au matin du 23 juillet que la vitrine sécurisée qui abritait le trésor de la commune avait été brisée et les objets emportés, jetant la stupeur sur tout le village", se remémore Alain Sentier. Immédiatement, les forces de l’ordre sont alertées, parmi lesquelles le Service régional de police judiciaire (SRPJ) de Limoges, qui se rend dans l’heure qui suit dans la petite bourgade, fleuron touristique du bassin de Tulle, perchée sur son éperon rocheux en surplomb des célèbres cascades.Le télégramme signé de Jack Lang, alors ministre de la Culture, reçu à l'époque par le maire.  

Avec le vol de la châsse de saint Etienne, le village perd sa « Joconde » "L’ambiance était surréaliste. Les estivants, comme les habitants, voyaient avec les voitures de gendarmerie et de police que quelque chose de grave s’était passé, mais sans comprendre", poursuit le maire. Déjà, les techniciens en identification criminelle sont à l’œuvre et établissent comment le dispositif de sécurité a pu être déjoué : du plâtre a été coulé dans les deux haut-parleurs censés diffuser le son de la sirène d’intrusion, depuis le clocher et l’intérieur de l’église.

Dans l’alcôve où se trouvait le trésor, la pièce maîtresse, la châsse de saint Etienne, joyau religieux du XIIe siècle estimé à l’époque à 5 millions de francs (aujourd’hui 400.000 euros, NDLR), et classé à l’inventaire des Monuments historiques en 1891, manquait à l’appel. "Les malfaiteurs avaient également réussi à emporter le buste-reliquaire de Sainte Apolline et un ciboire du XIXe siècle, une montrance en forme d’église du XVe siècle, une custode du XIIIe siècle, un plat à offrandes du XVIIe siècle, tous classés monuments historiques. "

Par le trou, qui paraît avoir été réalisé à coups de masse dans la vitre blindée, les malfaiteurs n’ont toutefois pas réussi à s’emparer du buste de Saint-Dumine. "La brèche était trop petite. L’un des voleurs s’est d’ailleurs blessé, car un gant portant des traces de sang a été retrouvé", se souvient Alain Sentier. Selon les premiers éléments, l’un des auteurs du casse est parvenu à pénétrer dans l’église par une petite porte latérale, ce qui lui a permis d’ouvrir à ses complices.Archives vol trésor Gimel en juillet 1991 : le curé Henri Latour pose devant la vitrine sécurisée brisée par les malfaiteurs à coups de masse.  

Dans les jours qui suivent, l’élu est tenu au courant de l’avancée des investigations. Le SRPJ penche d’abord pour une piste belge, car en 1981, la châsse du Chalard, en Haute-Vienne, avait été volée et partiellement retrouvée outre-quiévrain. Puis cette hypothèse est finalement abandonnée. Les auteurs du casse ont laissé des indices derrière eux. "Les policiers avaient notamment retrouvé une masse dans un fossé, sur le bord de la RD 979, qui va de Marcillac à Laguenne. Grâce au code-barres, ils ont pu établir qu’elle avait été achetée dans un magasin de bricolage de Brive la veille du vol et qu’il s’agissait bien de l’outil qui avait servi à briser la vitre sécurisée. "

Toutes les suppositions sont étudiées : s’agit-il d’un vol d’opportunité ? Ou, plus vraisemblablement, d’un casse commandité par un collectionneur, ces objets, dont la châsse, unique, étant presque impossibles à écouler sur le marché de l’art ? Une nouvelle hypothèse rend alors les policiers du groupe « objets d’art » du SRPJ pessimistes, retrace le maire : "Il existait aussi à l’époque une filière japonaise. Le capitaine Régis D. m’avait dit que si c’était le cas, ce serait très mal engagé pour retrouver les objets… "

C’est finalement au sud de l’Europe, en Italie, que la piste va se préciser. Dans le véhicule volé retrouvé par les enquêteurs, des facturettes en lire orientent l’affaire. Sous l’égide d’Interpol, les investigations, désormais internationales, s’orientent au début de l’été 1992 sur la région de Bologne. Un coup de filet est organisé par les carabinieri chez un receleur et, miracle, une partie du butin, dont la fameuse châsse de saint Etienne, est retrouvée (*).

"Ça a été un immense soulagement. J’ai reçu un coup de fil pour m’avertir que les investigations avaient pu aboutir, mais il m’a demandé de ne rien dire car les autorités et services ministériels concernés n’étaient pas tous avisés", explique Alain Sentier.

Vol au Musée Chirac : l'alarme a-t-elle fonctionné ?

Le 13 septembre, jour anniversaire des 50 ans de l’ordination de l’abbé Henri Latour, le maire a réservé un cadeau inouï au curé du village. Sur la place, où l’évêque était présent, comme de nombreux élus de communes voisines et ses administrés, il annonce  : " La châsse et une partie du trésor ont été retrouvées et vont nous être restituées ! » Mais le retour effectif n’a eu lieu que 18 mois plus tard. Le temps que les objets d’art parviennent au palais du Luxembourg, où ils ont été réceptionnés avec une importante délégation diplomatique, puis qu’ils soient transférés en Corrèze. "La châsse est arrivée au tribunal de grande instance et a ensuite été escortée dans une petite caisse par la PJ, avec les autres objets, jusqu’à l’église où d’importants travaux avaient été menés sous la direction de l’architecte des Bâtiments de France pour abriter de manière sécurisée le trésor. "

Le 5 juillet 1994, le trésor retrouvait sa place dans l’espace ultra-sécurisé construit spécialement pour les accueillir : un sarcophage de béton armé et une chapelle spéciale pour la châsse, mais aussi une lourde grille, une alarme nouvelle génération, une télésurveillance… Gimel retrouvait une partie de son âme, mais le vol a laissé des traces dans les esprits. "Machinalement, quand je ferme l’église le soir, je jette un œil sur la tribune", confie Alain Sentier. 

(*) La custode du XIII siècle, un médaillon en cuivre du XII siècle et le plat à offrandes.

Julien Bachellerie