J’ai été professeur de français au collège et au lycée. Pour ne pas subir l’idéologie gauchiste qui gangrène l’Éducation nationale, j’ai choisi de passer le Cafep, le concours qui permet d’enseigner dans les établissements privés sous contrat. J’ai pu découvrir que le privé est en passe d’égaler le public ! Cela commence dès la formation des professeurs à l’Isfec (Institut supérieur de formation de l’enseignement catholique). La devise des formateurs tient en trois mots : bienveillance, mélange et différenciation.
Bienveillance : il ne faut pas mettre de mauvaises notes, il ne faut pas corriger au stylo rouge, il ne faut pas établir de classements, il ne faut pas faire de l’apprentissage par cœur (trop traumatisant), il ne faut pas punir les élèves qui perturbent la classe (car ils ont sans doute des « problèmes » d’hyperactivité, un trouble magique qui, dans neuf cas sur dix, ne sert qu’à justifier la mauvaise éducation).
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Mélange : il faut mêler les bons élèves aux mauvais. Résultat : les bons sont tirés vers le bas. Le mot merveilleux de l’Éducation nationale, c’est l’« intergénérationnalité ». Il s’agit d’organiser des travaux de groupe entre élèves de différents niveaux. J’ai dû, pour ma part, monter une pièce de théâtre avec des maternelles, des élèves de 4e et des élèves de lycée. Autant vous dire que le résultat n’a pas été triste… Et que de temps perdu ! Il m’a également fallu encadrer, pour un projet de groupe, des filles de 5e et de 3e qui envisageaient d’organiser un « défilé de mode ». Pour mémoire, j’étais professeur de français : j’ignorais alors que pour l’Éducation nationale, le Cafep et le BAFA étaient la même chose.
Différenciation : afin d’égaliser à tout prix – vers le bas, évidemment – les bons et les mauvais élèves, le mot « nul » est proscrit, si vous l’employez, vous êtes immédiatement relégué dans la catégorie des « fascistes ». Il faut établir des évaluations différentes selon le niveau de chaque enfant. Résultat : toute la classe réussit ses interrogations. Dans les établissements où j’ai travaillé, les notes, en sport, étaient carrément remplacées par des codes couleur.
La première semaine de ma première rentrée dans un bon établissement du centre-ville de Chartres, j’ai fait faire une dictée à ma classe de 4e. Naïf, je me suis mis en tête d’enlever un point par faute et deux points par faute grave. Quelle n’a pas été ma surprise de constater que je ne mettais quasiment que des 0/20 ! J’ai dû changer mon système de notation, car le niveau était si faible qu’il aurait fallu que les neuf dixièmes de la classe retournent en maternelle ! Je me suis retrouvé à mettre des notes supérieures à 15/20, en dictée, à des élèves qui ne savaient pas écrire trois mots sans faire de fautes… (à ce sujet : il ne faut pas employer le mot « faute », c’est trop vertical, il faut préférer le mot « erreur »). J’ai personnellement été traité de « Hitler »(sic) par la formatrice de l’Isfec pour avoir dit : « Si un élève est mauvais en sport parce qu’il a une mauvaise condition physique, c’est normal qu’il ait de mauvaises notes. Il se rattrapera en histoire ou en mathématiques. »
C’est aussi parce que ça fait « trop vertical » qu’il n’y a plus d’estrade dans les salles de classe. Elles ont été systématiquement supprimées par les chefs d’établissement.
Quant aux manuels, ils prouvent une volonté claire d’abaisser le niveau des connaissances. Dans certains d’entre eux, les première et deuxième personnes du pluriel du passé simple ont disparu des tableaux de conjugaison… Et dans tous les manuels, il n’y a plus d’imparfait du subjonctif ! Il est tout simplement interdit de l’enseigner alors qu’il est constamment employé par les plus grands écrivains. Par ailleurs, il est presque impossible de faire lire des alexandrins : les élèves sont incapables de les comprendre. L’Isfec m’a tapé sur les doigts quand j’ai avoué faire étudier Le Cid de Corneille à mes classes de 4e. Tout « bienveillant » soit-il, l’Isfec passe son temps à interdire : de faire du cours magistral, de rendre les notes dans l’ordre pour établir un classement, d’enseigner la grammaire séparément de la littérature, de dicter le cours (en 4e !), de faire des contrôles de connaissance après un apprentissage par cœur…
Au début de l’année 2021, j’ai été affecté dans un collège à Chinon. Le jour de la prérentrée, le chef d’établissement nous a dit : « Selon moi, le rôle du professeur n’est plus d’apporter des connaissances. Cette école-là est dépassée. Aujourd’hui, les élèves peuvent acquérir du savoir partout sur internet. Le professeur doit se contenter de guider les élèves dans leurs démarches de recherches. » La messe était dite. Le jour même, j’ai reçu mon emploi du temps : tous les matins, de huit heures à neuf heures, je devais animer un « atelier d’éveil »pour « préparer les élèves à la journée ». En clair : jouer avec eux à des jeux de société ou leur montrer des films pour les aider à bien démarrer la journée de travail. Je ne suis pas fermé d’esprit, si le collège avait été excellent, si le niveau avait crevé le plafond, si tout cela avait fonctionné, c’est avec plaisir que je m’y serais soumis. Hélas, force était de constater que tout cela n’était que du temps perdu : non seulement le niveau était incroyablement faible (ce n’est pas exagéré de dire qu’en 3e les élèves savent à peine écrire), mais le reste du temps, les classes étaient si dissipées qu’il était tout simplement impossible de faire cours. Les collègues, eux, étaient résignés : « Allez, dans un an, ils partent au lycée, on ne les reverra plus. »
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Même les professeurs les plus à gauche le constatent : plus rien ne fonctionne ! Je m’entendais particulièrement bien avec mon collègue professeur de philosophie – dont je me rappelle l’avoir entendu parler de CNews comme d’une « chaîne de nazis ». Un jour, je lui ai fait timidement remarquer que le niveau général n’était quand même pas très bon… « Tu rigoles ? Mais c’est la barbarie, tu veux dire ! » me répond-il avant d’ajouter que l’Éducation nationale n’est même plus en chute libre, « elle a déjà coulé, et depuis longtemps ».
Pour moi, c’en était trop : j’ai démissionné. Un midi, j’ai pris ma voiture et je ne suis jamais revenu.
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