Ce serait sans précédent pour un ancien président américain. Donald Trump a prévenu samedi 18 mars qu’il s’attendait à être inculpé ce mardi dans une affaire impliquant un paiement pour acheter le silence d’une actrice pornographique. Le candidat à la présidence de 2024 a appelé ses partisans à manifester, plaçant les forces de l’ordre sur le qui-vive.
Dimanche, l’ancien hôte de la Maison-Blanche a dénoncé sur son réseau social Truth Social une "chasse aux sorcières", et s’est offusqué qu’un procureur ayant exercé "durant la plus grande vague de crimes violents de l’histoire de New York" puisse "harceler, inculper, et poursuivre en justice un ancien président des Etats-Unis". Le point sur cette affaire.
L’ancien président américain est inquiété dans l’affaire dite "Stormy Daniels". En cause, 130 000 dollars versés à cette actrice et réalisatrice de films pornographiques, Stephanie Clifford de son vrai nom. La justice new-yorkaise l’accuse d’avoir acheté son silence dans les semaines précédant l’élection présidentielle de 2016 pour qu’elle taise une supposée relation extraconjugale et ainsi ne pas porter préjudice au candidat Trump.
Dans cette affaire, la justice cherche à déterminer si le milliardaire américain s’est rendu coupable de fausses déclarations, ce qui est une infraction, ou de manquement aux lois sur le financement électoral, ce qui est un crime.
L’ancien président américain l’a assuré lui-même samedi : il pourrait être "arrêté" mardi dans ce que son avocate Susan Necheles a dénoncé auprès de l’AFP comme des "poursuites politiques" de la part du procureur de l’Etat de New York pour le district de Manhattan, Alvin Bragg, un élu démocrate.
La possibilité d’une telle inculpation s’est soudainement rapprochée avec l’accélération de l’enquête : en début de semaine, un ancien avocat de Donald Trump ayant procédé au versement de la somme, Michael Cohen, et Stephanie Clifford ont tour à tour été entendus, puis Donald Trump lui-même a, selon la presse américaine, été invité à témoigner devant un grand jury, autrement dit un panel de citoyens doté de larges pouvoirs d’enquête.
Or, "les procureurs n’invitent presque jamais la cible de l’enquête à témoigner devant le grand jury à moins qu’ils n’aient l’intention de l’inculper", a expliqué à l’AFP le professeur de droit et ancien procureur Bennett Gershman.
Selon l’ancien procureur fédéral Renato Mariotti, même en cas d’inculpation du milliardaire, il est probable que Donald Trump se rende volontairement au tribunal, où il pourrait être placé en état d’arrestation. Si le parquet décidait d’inculper l’ancien président, un rendez-vous au tribunal serait convenu entre les procureurs et ses avocats afin qu’il se voie signifier les éventuels chefs d’accusation retenus contre lui.
"Il n’arriverait probablement pas au tribunal par la porte de devant", pour des raisons de sécurité et éviter d’en faire "un spectacle", juge auprès de l’AFP Robert McDonald, professeur de droit pénal à l’université de New Haven et ancien du Secret Service, l’agence américaine chargée de protéger les hautes personnalités américaines. "On relèverait alors ses empreintes digitales, on l’enregistrerait", a expliqué samedi sur Twitter Renato Mariotti, notamment en prenant les fameuses photos d’identité judiciaires américaines. Puis, après avoir comparu devant un juge, il ressortirait libre du tribunal après s’être acquitté d’une éventuelle caution.
Mais l’ex-président américain a le sens de l’imprévisible et du spectaculaire : certains se demandent si Donald Trump pourrait ainsi refuser de se rendre, mettant au défi de l’arrêter le bureau du procureur de Manhattan Alvin Bragg.
Même si elle n’empêcherait pas Donald Trump de rester candidat à la présidence, le caractère explosif d’une telle décision judiciaire pourrait avoir des conséquences incertaines sur la campagne en le mettant en difficulté face à ses rivaux républicains, ou au contraire en stimulant sa base.
Des craintes ont vu le jour, après l’appel samedi de Donald Trump à des manifestations. Il a en effet appelé ses supporteurs à "sauver l’Amérique" et à "manifester". Quelques heures après sa première publication samedi, Donald Trump a renouvelé son appel : "Il faut sauver l’Amérique, manifestez, manifestez, manifestez !!!"
Le souvenir des violences qui avaient suivi des messages similaires de sa part le 6 janvier 2021, lors de l’attaque contre le Capitole, est dans toutes les têtes. Les forces de l’ordre, de l’échelon fédéral (FBI) à celui de la police de New York, se coordonnent depuis la semaine dernière dans l’optique d’une inculpation de l’ex-président, afin de parer à des troubles éventuels, selon les chaînes CNN et NBC, qui citent des sources anonymes.
Pour l’heure, les autorités n’ont pas annoncé anticiper de manifestations de grande ampleur. Une organisation de jeunes républicains, le Young Republican Club, appelle à une "manifestation pacifique" lundi dans le sud de l’île de Manhattan, où se trouve le tribunal. C’est notamment devant ce bâtiment judiciaire que la police entrevoit la possibilité de heurts, entre des possibles manifestants pro et anti-Trump, selon CNN.
A Washington, où des centaines de partisans de Donald Trump s’étaient lancés à l’assaut du Congrès américain en pleine certification de la victoire de Joe Biden, la police "n’a pas connaissance" de manifestations prévues mais "continuera de surveiller" la situation et se coordonnera avec le FBI "pour assurer la sécurité des habitants et visiteurs", selon un porte-parole à l’AFP.
Des ténors républicains ont dénoncé dimanche un acharnement "politique" à l’encontre de Donald Trump. Le président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, a dénoncé un "abus de pouvoir" de la part d’Alvin Bragg.
Même l’ancien vice-président Mike Pence, qui s’est pourtant désolidarisé de Donald Trump après l’attaque du Capitole par ses partisans le 6 janvier 2021, a apporté son soutien au milliardaire. Les poursuites sont "motivées politiquement", a jugé dimanche son ancien bras droit, qui entretient lui-même des ambitions pour 2024 et soigne donc son image auprès de la base républicaine. Il s’est dit "décontenancé" à l’idée qu’un ancien président puisse être inculpé par ce procureur en pleine "vague de criminalité à New York". "Les Américains ont un droit constitutionnel à se rassembler pacifiquement", a-t-il ajouté.
Côté démocrate, une telle défense a été jugée irresponsable. Mike Pence place "son ambition au-dessus de l’intérêt général" en "attaquant les poursuites potentielles contre Donald Trump et en défendant un appel à manifester", a taclé sur Twitter l’élu de la Chambre Adam Schiff, ancien membre de la commission parlementaire ayant enquêté sur l’assaut du Capitole.
"Il n’y a aucune raison de manifester", a de son côté estimé la sénatrice démocrate Elizabeth Warren. "Il s’agit de la justice qui fonctionne comme elle le devrait, sans crainte ou privilège pour quiconque." L’élue démocrate Nancy Pelosi, qui présidait la Chambre des représentants le 6 janvier 2021, a quant à elle qualifié les déclarations de Donald Trump de "dangereuses". "Il sera important pour les forces de l’ordre de faire attention à ces manifestations et de faire en sorte qu’elles n’atteignent pas le niveau de violence" du 6 janvier, a déclaré le sénateur démocrate de l’Arizona, Mark Kelly, qui a répondu par l’affirmative à un journaliste lui demandant s’il était inquiet.