« Je te pique ! Mais pas toi hein, le tissu ! » Nous sommes un jeudi, à 16 heures. Dans la classe de CE2 de l’école du Palais, à Aurillac, quatre enfants s’activent autour du costume de La Mer et de tournesols géants en carton. Une poignée de collégiens se greffe à l’atelier.
« Ce sont d’anciens élèves… Ils reviennent nous aider. » Sophie Castel, l’enseignante, dit ça en chauffant au sèche-cheveux des lunettes de commissaire pour en adapter la forme à Sebastian. « Tu es plasticienne, toi ! », se gausse gentiment Adeline Gache, « couturière en chef » bénévole. Elle est enseignante, elle aussi, mais en maternelle et à La Fontaine.
« Ça va mieux, là ? » Ce moment privilégié avec quatre élèves, loin du tumulte de la classe, permet de progresser pendant une heure sur les décors. Entre le 31 mai et le 9 juin, les vingt élèves de CE2 présenteront la pièce de théâtre qu’ils ont appris, Qui a volé les couleurs bleu, jaune et rouge ?, de Christine Berthon. C’est le fameux projet pédagogique et artistique. Ils devront être prêts. Prêts à monter sur les planches. Prêts à déplier, devant 350 personnes, le travail colossal élaboré depuis le mois d’octobre.
Mais où t’as trouvé tous ces cartons, maîtresse ?
En découpant un nouveau tournesol, Sophie Castel répond : « La maman de Giuliana connaît quelqu’un dans son métier qui utilise plein de grands cartons. » Oui, parce que le projet est collectif. « Les enfants font tout eux-mêmes, sauf le cutter ! » Adeline Gache prend les mesures du déguisement de La Mer directement sur Diego. « C’est le rôle que je voulais, en plus. » Elle épingle çà et là. « Peut-être rajouter un poisson à côté de la méduse, là, en bas ? Marche un peu avec, pour voir. » En majesté, Diego fait quelques pas. « Ça fait comme une mariée ! » « Bon, je te fais ça ce week-end », conclut Adeline Gache.Finalement, ce sera le soir même. Car le lendemain après-midi, les répétions reprennent et La Mer arbore fièrement son déguisement tout frais (même si, accessoirement, elle est accusée d’avoir volé le bleu. Mais ça, c’est l’autre histoire…). « Messieurs Les Flammes et les commissaires, en piste ! » C’est en salle de garderie, au rez-de-chaussée de l’école, que ça se passe. « Vous devez articuler. Prenez des risques ! »
Un travail de longue haleine, et de précisionSebastian, élégant dans son trench de commissaire, a l’aplomb d’un inspecteur Colombo de 9 ans, mais pas le débit de parole. « Ouh là, trop vite ! », le ralentit Sophie Castel. C’est qu’il est impressionné, lui qui campe le chef (Chef-Chef). « Je sais qu’il y a plus de monde que d’habitude qui vous regarde, rassure la maîtresse. Mais ce n’est pas grave. » Chef-Chef reprend, avec son fidèle adjoint Yanis (Trouvetout). Scène suivante. La Mer, accusée d’avoir volé le bleu, n’en reste pas moins sublime. « Moi, je suis trop vieux. Je ne m’amuse plus de ces choses-là. »« Étrange… étrange histoire que cette histoire-là. »
Le leitmotiv du commissaire permet de plonger subtilement le public dans un brouillard épais… Car on n’en saura pas plus : le personnage principal de la scène suivante est malade. Anna, petit chaperon jaune, entre en scène, suivie de Mélina, petit chaperon rouge, accusée d’avoir volé… le rouge. Elle montre les coquelicots. « Et ces fleurs ? Toutes rouges, elles aussi ! » La pièce est rythmée par sept chants. Sélectionnés sur le volet par Sophie Castel et Bertrand Hulin, musicien généraliste du conservatoire de musique et de danse d’Aurillac [voir ci-après]. Et justement, le mercredi suivant, nous retrouvons les enfants avec Bertrand Hulin. « Vous devez articuler. Prenez des risques ! Chantez. Le théâtre, c’est 350 personnes, moi je suis tout seul et je ne vous entends pas. » Les élèves renchérissent : « Un peu de bleu, un peu de vert pour colorier tout l’univers », entonnent-ils en chœur.
« C’est super ce que vous faites, mais je n’entends pas tout le monde ! On a besoin de toutes les voix ! »
Et ça repart : « Mettre du vert dans la salade, oh là là quelle rigolade ! » Sophie Castel annote ses fiches. Ces chansons travaillées le mercredi matin avec l’aide technique de Bertrand Hulin, elle reviendra dessus tout au long des quinze prochains jours. Rythmes, tessitures, elle entraînera ses élèves selon ses annotations, pour que le prochain mercredi avec lui soit efficace. « Tu as rajouté la flûte ? J’avais pas cette version sur le cloud. » Au bout de 40 minutes de travail, les élèves se détendent sur La baleine bleue… avant de prendre le chemin de la récréation.
Anna Modolo
Appel au prêt. Pour les besoins de la pièce, les élèves cherchent à emprunter un trench beige taille 10/12 ans, à prêter quelques semaines. S’adresser à l’école, 15, place du Square, à Aurillac.
