En septembre 1917, des milliers de soldats russes, qui refusent de continuer le combat, sont parqués à La Courtine, en Creuse. Leur camp sera bombardé trois jours durant. Haute Corrèze Communauté va y réaliser un Chemin de mémoire, qui racontera cette histoire.
La Courtine, 16 septembre 1917. Il est à peine 10 heures quand explosent les premiers obus, tirés sur le camp. Les 10.300 mutins russes qui y sont parqués répondent en entonnant La Marseillaise et la Marche funèbre de Chopin. 800 obus seront tirés en trois jours.
Cette histoire des mutins russes à La Courtine, tout le monde en a entendu parler. Mais peu la connaissent réellement. « Lors du centenaire de la mutinerie, l’association La Courtine 1917 avait organisé trois jours de manifestations sur la commune, raconte Marion Barreau, cheffe de projet patrimoine à Haute-Corrèze Communauté. Certains habitants ont découvert cette histoire et l’association, la commune, les Courtinois se sont dit que ce serait vraiment intéressant de la rendre visible dans la commune. »La mémoire des mutins de La Courtine honorée.
Un Chemin de mémoire ouvert au printemps 2024Un travail de collecte a alors commencé avant de définir quel projet lancer. Un musée ? Un chemin de mémoire ? C’est finalement la seconde option qui a été retenue et son pilotage confié à Haute-Corrèze communauté.
Marion Barreau a suivi l’avancée du dossier, des premières réunions jusqu’à la conception du Chemin de mémoire, présenté dernièrement aux élus municipaux et aux habitants. Un projet, chiffré à 150.000 € (*), qui va entrer dans sa phase de réalisation en mai : « Tout doit être fini à la fin de l’année. On prévoit une inauguration au printemps 2024 ».
Ce chemin, conçu par Jean-Pierre Uhlen, scénographe, et Carole Bridier, paysagiste, proposera deux parcours, qui s’arrêteront dans 15 lieux symboliques de cette histoire. Des boucles permettront également de (re)découvrir La Courtine au fil d’une scénographie particulière.L'esthétique du Chemin de mémoire sera liée au monde ferroviaire.
« L’esthétique globale sera liée au monde ferroviaire, en usant notamment du métal, détaille Marion Barreau. Des mâts simples indiqueront les parcours, des panneaux raconteront l’histoire et renverront vers un contenu audiovisuel via des QR codes. La typographie sera sobre, jouant avec l’alphabet cyrillique. »
Deux parcours pour évoquer faits de guerre et vie quotidienneAu tout départ du chemin, sur la place au centre de La Courtine, un mât d’appel avec la silhouette du soldat qui dit stop à la guerre : « Ce premier parcours racontera le cheminement en France de ces soldats russes jusqu’à la mutinerie en 1917. La dernière étape, sur les hauts de Saint-Denis, évoquera l’assaut final sur les mutins. »
« Le second parcours racontera la vie quotidienne des Russes et des Courtinois, de la méfiance des premiers jours aux liens qui se sont tissés. Par exemple, en haut du bourg, une banquette métallique, pour s’asseoir ou observer, symbolisera ces potentielles histoires d’amour entre soldats russes et Courtinoises. Ce parcours passera également par l’avenue de la Gare, qui rappellera l’esprit de fête qui pouvait régner lors de moments conviviaux ».
Une redécouverte de la communeL’étape au bord de l’étang évoquera la vie quotidienne et le temps hors des combats : « Une structure métallique sera installée là où les lavandières lavaient leur linge. Les draps que l’on va y suspendre seront en fait une grande broderie, réalisée dans un atelier participatif : on va broder des dessins et une lettre de soldat ».La Courtine révélera des trésors patrimoniaux méconnus.
En quinze étapes, ce Chemin de mémoire n’ambitionne rien d’autre que de raconter cette histoire passée sous silence et de dévoiler, au passage, les recoins d’un bourg eux-aussi méconnus.
(*) 40.000 € pour la maîtrise d’œuvre et 110.000 € pour la réalisation. Subventionné à hauteur de 50 % par l’Europe, 17 % par la Région et 13 % par le Département.
À la mémoire des mutins russes de La Courtine
En 1917, 20.000 soldats russes combattent sur le front en Champagne. Après l’hécatombe du Chemin des Dames en avril, une partie de ces troupes se rebelle et exige de rentrer en Russie.
Pour éviter que l’esprit de rébellion ne se propage, 16.500 d’entre eux sont envoyés au camp de La Courtine, où ils sont parqués. Mais en juin, 10.300 de ces soldats se mutinent et exigent de rentrer dans leur pays où la Révolution vient d’éclater. En septembre, ils sont réprimés par canonnade par des forces russes loyalistes, épaulées par 5.000 soldats de l’armée française.
Combien de soldats russes y meurent ? « On parle de dix, on parle de cent, on parle de mille ». Les survivants, eux, seront rapatriés en Russie en 1919 et 1920. Entre-temps, les leaders de la mutinerie seront emprisonnés sur l’île d’Aix (Charente-Maritime), tandis que les autres seront envoyés aux travaux forcés en Algérie.
Séverine Perrier