En cette Journée internationale des droits des femmes, nous sommes allés à la rencontre de huit femmes pour leur poser une même question : "Et vous, c'est quand la dernière fois où vous ne vous êtes pas sentie l'égale d'un homme ?"
Léo Simonitto-Delettre, 25 ans, artiste et drag queer, Clermont-Ferrand
"La dernière fois que je ne me suis pas sentie l’égale d’un homme, c’est quand je suis allée travailler dans un bar : on avait accepté de nous booker sauf que, la surprise, c’est qu’on n’a pas été rémunérées pour fournir un spectacle là où d’autres groupes de drag travaillaient. Ils étaient, pour la majorité, des hommes, étaient rémunérés, avaient accès à un vestiaire, à une consommation et à un repas. Nous, les vestiaires, c'étaient les toilettes, on n’a même pas eu accès à un verre d’eau ni à des boissons offertes parce qu’on devait faire nos preuves. Car être assignée femme et faire du drag, c’est moins vendeur.
Au final, on a ramené énormément de monde. On nous a proposé une seconde date. Pareil, les conditions d’accueil étaient vraiment catastrophiques alors qu’on a ramené plus d’une centaine de personnes. Le combat se mène aussi dans ce milieu-là."
Isabelle Rome, 59 ans, ministre déléguée à l'Égalité entre les femmes et les hommes"Je vais vous raconter un des souvenirs qui m’a marquée, mais qui m’a aussi permis de me dépasser et qui m’a donné l’envie d’écrire et de me battre pour les autres femmes. C’était lorsque j’étais jeune juge d'application des peines, je devais avoir 25 ou 26 ans. À l’époque, un ancien détenu avait commis un braquage et j’étais très déçue de cette récidive. Je me souviens qu’un commissaire de police m’avait dit : 'Mais, vous êtes naïve, Madame le juge, un braqueur, c’est irrécupérable.' Cette remarque m’avait attristée, elle m’avait vexée et je pense aussi qu’elle m’avait offensée. Et très vite, je me suis demandé : 'Aurait-il dit la même chose si j’avais été un homme ?' Je ne le pense pas.
Cet épisode m’a éprouvée. Mais je me suis dit que j’allais démontrer que j’étais une vraie professionnelle et toute ma vie, j’ai essayé de montrer que j’étais compétente.
Comme beaucoup de femmes, en fait. Ce que je voudrais dire, aux autres femmes, aux jeunes filles, c’est : 'Ne vous découragez jamais, gardez toujours vos idéaux. Foncez, misez sur vos compétences. Même si, parfois, vous pouvez avoir des contrariétés, continuez. Vous verrez, quand on est motivé, finalement, les portes finissent par s’ouvrir. Et parfois, si elles ne s’ouvrent pas assez vite, n’hésitez pas à donner un petit coup de pied.'"
Clémence Jamain, 17 ans, lycéenne, Brive-la-Gaillarde"La première fois que j’ai réalisé que je n’étais pas l’égale d’un garçon, j’avais 12 ans. Je venais de rentrer en sixième et j’ai eu l’opportunité d’interviewer Thomas Pesquet lorsqu’il était à bord de la Station spatiale internationale. Lors de cette rencontre, on devait chacun et chacune lui poser une question sur son voyage. Je voulais absolument lui demander si on pouvait voir des extraterrestres depuis la Terre, ou une forme de vie quelconque. Mon professeur m’a répondu que je ne pouvais pas poser cette question et qu’il fallait plutôt que je lui demande si on pouvait pleurer dans l’espace.
Ça ne m’intéressait pas du tout de lui demander ça. Surtout que je connaissais déjà la réponse, parce qu’en technologie, on avait étudié le système Terre.
J’ai compris que, parce que j’étais une fille, on m’empêchait de poser cette question. Je me souviens avoir demandé à mes parents, ce soir-là : 'Est-ce que, si j’avais été un garçon, on m’aurait imposé cette question ?' La réponse est 'bien sûr que non !'
Lorsque j’ai posé la fameuse question, toute la salle souriait, disait 'Oh, elle est mignonne… C’est vraiment une question de fille.' J’ai compris à ce moment-là qu’un certain type de comportement était attendu, que je ne devais pas sortir des normes. On s’attendait vraiment à ce que je parle de mes émotions parce que j’étais une petite fille."
Céline Montmory, 39 ans, paysanne, Saint-Jean-en-Val (Puy-de-Dôme)"La dernière fois que je ne me suis pas sentie l'égale d'un homme, c'est lorsqu'un client m'a dit que mon métier était plus facile parce que j'élevais des brebis et que ce serait probablement plus difficile si j'élevais des vaches. On me le dit régulièrement. Les gens pensent que les vaches sont plus un élevage d'hommes et les brebis, de femmes, car c'est un animal plus petit. Je crois que ça n'a rien à voir.
On voit bien qu'il y a encore des préjugés sur notre travail : la force physique doit correspondre à un métier. J'explique qu'une vache est rarement manipulée par quelqu'un et que les brebis nécessitent beaucoup de manipulations. C'est quand même un métier très physique, qu'on soit un homme ou une femme. Je suis moins forte, effectivement, mais ce n'est pas forcément lié au fait que je sois une femme. C'est plutôt lié au fait que je suis un poids léger. Je compense en utilisant des méthodes différentes et mon corps s'est aussi adapté à mon métier."
Maria Zsarko-Berta, 90 ans, ancienne aviatrice, Bourges"La dernière fois que je ne me suis pas sentie l'égale d'un homme, c'était il y a longtemps. En 1958, quand j'étais enceinte de trois mois de mon premier enfant et il fallait, en France, aller aux Allocations familiales le déclarer. Un homme m'a dit : 'Madame, ce n'est pas vous qui devez venir, mais votre mari.' J'ai dit : 'Mais Monsieur, ce n'est pas mon mari qui est enceinte, c'est moi.' Je suis tombée des nues, j'étais vraiment choquée.
Dans ma vie, j'ai fait plein de choses comme un homme. En Hongrie, j'ai été pilote d'avion, j'ai sauté en parachute, j'ai fait de la voltige aérienne avec un planeur et un avion à moteur. J'ai fait des loopings, des tonneaux. Mon idole, c'est Jacqueline Auriol, une pilote française qui a fait un record du monde avec un avion à réaction de 800 km/h."
Néné Touré, 61 ans, gardienne de stade, Nevers"Une fois où je ne me suis pas sentie l’égale d’un homme... C’était lorsque j’ai postulé pour venir travailler au stade. On m’a dit 'le gardiennage, c’est fait pour les hommes ! Au stade, il y a toujours des contraintes, des conflits, parfois des bagarres. Qu’est-ce que tu viens faire là ?' J’ai dit à mon collègue : 'Je suis sportive, j’aime le contact et j’aime les gens. Le gardiennage est fait pour moi.' Le collègue m’a répondu : 'Ok, mais si tu viens, ne compte pas sur moi pour venir te défendre quand il y aura des embrouilles !'
Si j’ai postulé, c'est que je me sentais capable de mener à bien cette mission.
Six mois après, mon collègue est venu en courant chez moi, apeuré, parce que des jeunes mettaient le bazar au gymnase. Je suis allée les voir pour les calmer. Je leur ai dit qu’ils nous devaient le respect, aussi bien à moi qu’à mon collègue... Il n’en revenait pas : j’ai réussi à ramener la tranquillité. J’étais fière. Il m’a dit : 'Néné, tu m’as sauvé.' Donc, il ne faut pas nous dénigrer, nous rabaisser. On est capables de faire la même chose qu’un homme !"
Nadia Bouziane, 64 ans, fondatrice de l'association Solidarité Femmes Immigrées, Clermont-Ferrand"La première et la dernière fois que je ne me suis pas sentie l'égale d'un homme, c'est quand j'ai créé l'association (Solidarité Femmes Immigrées, dans le Puy-de-Dôme, NDLR). Un responsable politique m'a dit : 'Ton truc, ça ne va pas tenir trois mois.' Je lui ai répondu : 'C'est l'avenir qui nous le dira.' C'était en 2003, nous allons fêter les 20 ans de l'association. Dans sa tête, il ne pensait pas qu'une femme puisse être capable de créer, de diriger et de faire perdurer une association. Il ne l'aurait pas dit à un homme. Il se sentait certainement supérieur à une femme.
Un autre homme m'a fait une réflexion, pensant que je ne pourrais pas m'occuper de l'association et des adhérentes. Mais, moi, quand on veut me mettre des bâtons dans les roues, ça me donne encore plus la niaque !"
Marion Pelletier, 23 ans, infirmière, Chartres"C’est à mon travail. J’étais avec un étudiant infirmier. Nous sommes entrés dans la chambre d’un patient qui a dit : 'Ah, voici le médecin', en parlant de l’étudiant. Ça m'a questionnée : pourquoi quand nous, les infirmières, on rentre dans leur chambre, ils ne disent pas : 'C’est le médecin' ?
Pour moi, la journée du 8 mars, c’est un jour comme un autre. C’est peut-être un peu féministe, mais pourquoi est-on obligé de faire une journée spécifique ? Et les autres jours, c’est la journée des hommes ?"
Propos recueillis par : Marielle Bastide, Pomme Labrousse, Pauline Mareix, Lara Payet, Chemcha Rabhi, Marie-Claire Raymond. Photos : Franck Boileau, Richard Brunel, Francis Campagnoni, Pierrick Delobelle, Pierre Destrade, Stéphanie Para, Quentin Reix.