Longtemps à la traîne de ses voisins, la France tente de rattraper son retard en matière de dépistage à la naissance. Depuis le début de l’année, sept nouvelles maladies sont intégrées dans un programme national qui peut sauver des vies. Durant les deux ou trois jours suivant la naissance d’un enfant, un dépistage est proposé à la maternité à tous les parents. Ce "test de Guthrie" se présente sous la forme d’un buvard qui va recueillir une goutte de sang prélevé sur le talon du nourrisson. Un dépistage de la surdité est réalisé en même temps. Le test gratuit, dont les résultats sont en général connus sous dix jours, n’est pas obligatoire mais fortement recommandé. Après vérification du résultat, une prise en charge est instaurée : information des parents, programmation rapide d’une consultation avec un pédiatre référent, démarrage du traitement et organisation du suivi.
Créé en 1972, ce programme national permet de détecter certaines maladies rares chez le nouveau-né, telles que la mucoviscidose ou l’hypothyroïdie congénitale, avant l’apparition des premiers signes. Objectif : gagner du temps. Ce système a été mis en place, une première fois, dans le cadre du dépistage systématique de la phénylcétonurie, maladie génétique qui se caractérise par une déficience intellectuelle progressive et sévère. Dépisté à J + 3, il permet de fournir un traitement basé sur une alimentation pauvre en protéines. "Depuis la mise en place du dépistage néonatal en 1972, ce sont plus de 37 millions d’enfants qui ont été dépistés en France et près de 30 000 ainsi pris en charge rapidement", explique le site Ameli. Selon le site Euractiv, 80 % des maladies rares ont une origine génétique et 70 % commencent dans l’enfance.
En 2021, le programme a permis d’identifier 1 165 enfants malades, soit un enfant malade sur 641 dépistés. Depuis le 1er janvier 2023, à la suite des recommandations de la Haute autorité de santé (HAS), la France a décidé de donner un coup d’accélérateur en la matière. Le dépistage a été étendu à sept maladies supplémentaires, des affections héréditaires rares affectant le métabolisme. "Chaque année, une de ces maladies sera dépistée sur 50 à 60 nouveau-nés, qui rejoindront les 1 100 bébés sauvés par le dépistage", s’est réjoui lors d’une récente conférence de presse Michel Polak, responsable du Centre régional de dépistage néonatal d’Ile-de-France basé à l’hôpital Necker-Enfants malades AP-HP.
Pour qu’une maladie soit rajoutée dans le programme, plusieurs conditions doivent être cochées : il faut qu’un traitement existe, que la maladie soit considérée comme un problème de santé publique et, enfin, que le test soit facile à réaliser. "Il est important de dépister des maladies que l’on peut traiter car les parents ne verront jamais que leur enfant est malade", a détaillé Michel Polak, peu avant la Journée mondiale des maladies rares, le 28 février. Dans le cas des sept maladies nouvellement ajoutées, des médicaments ou régimes alimentaires peuvent être mis en place suffisamment tôt pour éviter au nouveau-né de développer des symptômes et des complications.
L’Hexagone essaie ainsi de gagner quelques places dans le classement en matière de dépistage néonatal. "La France est 22e sur 30 en Europe avec 6 maladies, et en 2023 avec 7 maladies de plus on sera 15e. En Italie, près de 50 pathologies sont dépistées à la naissance", déplorait Laurence Tiennot-Herment, présidente de l’AFM-Téléthon, dans le quotidien Les Echos le 1er décembre. L’Islande, le Portugal, le Danemark et les Pays-Bas dépistent déjà, eux, plus de quinze pathologies.
Les évolutions technologiques récentes ont aidé la France à rattraper son retard. "L’acquisition de spectromètres de masse en tandem, des machines permettant d’analyser sur une même tache de sang de nombreuses maladies d’un coup, a été décisive", relevait auprès de l’AFP Jean-Baptiste Arnoux, pédiatre coordonnateur du groupe de travail dépistage au sein de la filière maladies rares G2M. Et qui dit nouvelles machines, dit aussi obligation de former les biologistes.
À la suite des recommandations de la HAS, le dépistage de la drépanocytose devrait être élargi à l’ensemble des naissances, alors qu’il était jusqu’alors réservé aux familles les plus à risque de transmettre la maladie. Cette maladie héréditaire des globules rouges a vu son nombre de cas augmenter de plus de 50 % en dix ans. A l’avenir, le dépistage néonatal pourrait encore s’ouvrir à d’autres affections : cinq maladies métaboliques supplémentaires seront en effet discutées en 2023. Mais le chemin est encore, long regrettent les associations : "Les spécialistes s’accordent à dire qu’il y a entre 100 et 150 maladies qui justifieraient un dépistage néonatal", expliquait dans les colonnes de Ouest-France, Frédéric Huet, président de la Société française de dépistage néonatal.
Preuve que le dépistage avance, deux régions - le Grand-Est et la Nouvelle-Aquitaine - expérimentent depuis l’automne le dépistage d’une maladie génétique, l’amyotrophie spinale (SMA), qui frappe une grosse centaine de bébés chaque année en France. Début janvier, l’AFM Téléthon a mis en place un projet pilote pour détecter cette "maladie d’origine génétique qui touche les cellules nerveuses qui commandent les muscles : les motoneurones". L’amyotrophie spinale se manifeste par une faiblesse musculaire de gravité variable, qui peut débuter à la naissance, dans l’enfance ou à l’âge adulte. Au total, 120 bébés naissent tous les ans avec cette maladie génétique, soit un cas sur 7 000 naissances.
#Depisma C'est parti pour le programme pilote de dépistage génétique de l’amyotrophie spinale
— AFM-Téléthon (@Telethon_France) January 11, 2023
Ce programme, lancé par l’AFM-Téléthon, a débuté fin décembre dans le Grand-Est et début janvier en Nouvelle-Aquitaine, les 2 régions pilotes.
✚ d'info ➜ https://t.co/otn6HwajOr 1/4 pic.twitter.com/7ZPb7Ou4rQ
Dans sa forme la plus grave (environ la moitié des cas), elle tue en moins de deux ans l’enfant atteint, rapidement victime de difficultés à s’alimenter ou à respirer. Or depuis quelques années, des traitements existent mais sont beaucoup plus efficaces s’ils sont pris avant que la maladie se déclare. Plusieurs pays dans le monde et en Europe, dont la Belgique et l’Allemagne, ont systématisé le dépistage de l’amyotrophie spinale à la naissance. En Italie, des projets pilotes existent aussi, couvrant une partie de la population, mais pas à l’échelle nationale. L’association SMA Europe estime que 20 % des nouveau-nés de l’UE ont été testés pour la SMA en 2021, et ils s’attendent à ce que ce chiffre atteigne 35 à 40 % d’ici la fin de l’année.
En France, il faudra encore attendre deux années avant que le dépistage précoce devienne automatique à l’instar du "test de Guthrie". Comment expliquer un tel retard ? Contrairement à d’autres pays comme la Belgique et l’Allemagne, la France a longtemps été opposée au dépistage "génétique" à la naissance. Or l’amyotrophie spinale ne peut se dépister que de manière "génétique", en repérant directement une mutation inhabituelle sur le gène concerné.
Pendant de nombreuses années, pour qu’un dépistage génétique soit autorisé, les parents devaient se soumettre à une série d’entretiens approfondis, une procédure irréaliste pour un dépistage généralisé. Un amendement de la loi de bioéthique, adoptée en 2021, a permis d’alléger les règles en la matière, ouvrant la voie à l’expérimentation qui va être conduite à l’automne. Non sans difficulté : lors des débats sur l’examen du texte à l’Assemblée nationale deux ans plus tôt, certains députés avaient parlé d'"eugénisme", à l’instar de Patrick Hetzel, député Les Républicains, qui avait évoqué le film de science-fiction "Bienvenue à Gattaca".
Le programme national de dépistage néonatal est financé par l’Assurance maladie et coordonné par l’Association française pour le dépistage et la prévention des handicaps de l’enfant (AFDPHE). Il est mis en œuvre dans les 22 régions par 22 associations régionales (ARDPHE). Le coût annuel du programme est de 8,6 millions d’euros par an, soit une dizaine d’euros par enfant.