La mini série d’Arte, Le monde de demain, des réalisateurs Katell Quillévéré et Hélier Cisterne, retrace la naissance du hip hop en France et plus précisément, la genèse du groupe NTM. Parler de rap, de Seine Saint Denis et de « nique la police », n’est pas très populaire sur Causeur, mais le rap, c’est aussi la culture du « clash » et j’accepterais volontiers de me faire « clasher », après tout, ce sont les règles du jeu.
Le hip hop, ça n’est pas ma culture, toute occupée que j’étais dans ma jeunesse à écouter du rock et à parfaire ma connaissance des groupes anglais des années 60. Je le regrette, maintenant. Car dans le hip hop, au début des années 80, on ressentait cette énergie folle qui fit vibrer l’Angleterre des 60’s, ou plus tard, celle du punk, qui fut notre dernière dose d’amphétamines, pour nous les « Blancs », avant l’ennui. Il fallut donc que la banlieue, le 9-3 vienne nous réveiller.
Si j’ai beaucoup aimé la série, c’est avant tout parce qu’elle raconte une histoire, et pas seulement un fait de société. L’histoire de Didier Morville dit Joeystarr, de Bruno Lopes dit Kool Shen, mais aussi du DJ (disc-jockey) Dee Nasty, et de toute une bande de danseurs de hip hop et de grapheurs. De filles aussi, qui gravitent autour, qui doivent s’imposer, avec un parcours plus tragique.
Didier et Bruno sont deux petits gars de Saint Denis – « c’est d’la bombe baby » – la bombe faisant ici référence à la culture du graffiti, mais hélas, en 2022, cela résonne différemment. Didier est antillais, fils unique, et se fait tabasser par son père, il dira plus tard : « La ceinture c’est culturel chez nous ». La mère est absente. Bruno, mi breton mi portugais, vit dans une résidence, il vient donc d’un milieu un peu plus « aisé », mais surtout est entouré de parents aimants.
Les deux lascars s’ignorent, jusqu’à ce que le hip hop les réunissent. En effet, lors d’une sortie au Trocadéro, ils tombent en admiration devant un groupe de danseurs de hip hop. Et leur vie prendra enfin un sens.
Cependant, au commencement, il y eu le DJ Dee Nasty, de son vrai nom : Daniel Bigeault. C’est lui qui a importé le hip hop en France, après un voyage à San Francisco. S’il est devenu plus tard un DJ mondialement connu, il ne connut pas les débuts fulgurants de NTM. Il apparaît dans la série comme un prophète, celui qui prêche la bonne parole hip hop, mais qui galère. Il n’a pas la tchatche de ses potes, pourtant il bosse dur.
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Il fut vraiment un pionnier, qui a essayé d’insuffler, en vain, l’esprit hip hop à la mythique radio libre : Carbone 14. Il officie plus tard sur la non moins mythique – mais plus officielle – Radio Nova. Encore une fois, cela se passe mal. Pourtant, c’est grâce à lui, qui avait investi un terrain vague à La Chapelle, où grapheurs et danseurs de hip hop pouvaient donner libre cours à leur créativité canaille, et – à l’époque illicite – que Didier Morville et Bruno Lopes sont devenus Joeystarr et Kool Shen. A la tête, avec DJ S, du posse Suprême NTM. Car NTM, au départ, c’est toute une bande. Le rap, la danse et le graph ne font qu’un. Le 9-3 et le Nord de Paris sont devenus, grâce à eux, l’espace d’un moment, notre Harlem à nous.
La série aurait d’ailleurs pu s’appeler Le monde d’hier, tant cette énergie, cette façon de revendiquer, non pas une appartenance raciale, mais l’identité d’un quartier, le 9-3, qui à l’époque débordait de vitalité, nous semble à des années-lumière de ce que nous vivons aujourd’hui.
Comme souvent, Joey et Kool Shen ont commencé leur carrière musicale sur un malentendu, par défi, pour répondre au chanteur du groupe Assassin qui ne les croyait pas capables d’écrire des textes et de les interpréter. Ils furent repérés et signés (avec l’aide de Nina Hagen) par le label Epic Record, et enregistrent le single « Le monde de demain » (qui donne son titre à la série), sur un sample de Marvin Gaye, et un texte, mythique et définitif, de Joey et Kool Shen : « Le monde de demain, quoiqu’il advienne nous appartient, la puissance est dans nos mains, alors écoute ce refrain ». La suite, nous la connaissons.
Pour les besoins de cette chronique, j’ai regardé des vidéos de NTM en concert. C’est impressionnant, à la fois de précision et de pureté sauvage. Kool Shen à un « flow » énergique, qui claque comme un métronome, tandis que Joey évolue, tel un félin, avec un charisme qui sature l’espace. Il ponctue les morceaux de cris, de râles, et sa gestuelle est chaloupée, il est partout, il parcourt la scène, un peu comme un chanteur de rock – le Mick Jagger des débuts des Stones – peut-être. J’ai d’ailleurs un ami qui affirme que NTM est le plus grand groupe de rock français.
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Maintenant, Joey est devenu un acteur reconnu (ironiquement, il est excellent dans le rôle d’un flic dans Polisse) et Kool Shen presque un businessman (il a toujours eu la tête sur les épaules.)
Malgré tout ce qu’on peut dire sur ce groupe, sur le soufre qu’il véhicule, ils resteront, en plus d’être des bêtes de scène, les auteurs de textes qui touchent, qui bousculent, qui innovent : « Sache qu’ici bas, plus qu’ailleurs la survie est un combat, à base de coups bas, de coups de ton-bâ, d’esquives et de “paw” de putains de stomba ». (Laisse pas traîner ton fils). Qu’on le veuille ou non, des sortes d’héritiers de Ferré.
Respect.
Le Monde de demain, disponible sur Arte, six épisodes de 48 minutes.
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