Au lycée, voire au collège, des jeunes changent de prénom, revendiquant ainsi la primauté d’une identité de genre. Décryptage d’un phénomène de société émergent avec le psychanalyste belge Jean-Pierre Lebrun.
Chloé est arrivée un matin à l’école. Désormais, elle souhaite qu’on l’appelle Max. Transgenre, cisgenre, non binaire, bispirituel… l’identité sexuelle revêt nombre d’aspects. Un phénomène auquel sont confrontés parents et enseignants et qui prend de l’ampleur depuis environ cinq années. Véritable phénomène de société, épiphénomène ? Décryptage avec le psychiatre et psychanalyste belge Jean-Pierre Lebrun de passage en France, fin septembre, lors du colloque Médecine et psychanalyse dans la cité, à Clermont-Ferrand. Il travaille depuis trente ans sur la thématique des modifications sociales sur le sujet.
Qu’entend-on par « identité de genre » en médecine ?
"L’identité de genre, c’est une identité que l’on veut se donner, non pas à partir d’une réalité anatomique mais à partir du ressenti que l’on a. Cela n’a rien de nouveau. Il y a toujours eu des personnes qui se sont senties plus l’âme d’une fille ou d’un garçon. Cependant, il faut distinguer l’adulte qui veut changer de sexe – dans une démarche longuement réfléchie – du jeune, qui souhaite qu’on l’appelle autrement parce qu’il a l’impression que le sexe anatomique qui est le sien ne correspond pas au genre qu’il estime avoir."
Pourtant aujourd’hui, on en parle davantage…
"Oui, aujourd’hui, c’est devenu une revendication à laquelle on donne une légitimité. Vous pouvez désormais ne pas tenir compte de cette réalité anatomique. On reconnaît sociétalement que si vous vous sentez différent de votre anatomie, vous pouvez revendiquer une identité de genre. Ce qui vous permet de vous nommer autrement. Dans l’Education nationale, une circulaire le permet.
Cela peut être lié au fait que dans notre société actuelle, une place de plus en plus importante est donnée à la valeur de l’individu, à son ressenti, à ce qu’il dit qu’il est, plutôt que de tenir compte de la réalité. De surcroît, il y a eu une remise en question des modèles sociétaux qui étaient figés : la fille jouait à la poupée, le garçon au petit soldat. Il a été démontré que ces aspects dépendaient de la culture, et non pas de la nature. À partir de là, c’est modifiable à souhait."
Physiologiquement, se passe-t-il quelque chose ?
"Non, pour ces jeunes, il ne se passe rien physiologiquement qui soit à l’encontre de la réalité anatomique à laquelle ils sont astreints. Sauf que si on entend leur demande et qu’on la prend au pied de la lettre, on peut proposer des bloqueurs hormonaux, voire des interventions chirurgicales. Cela s’est passé. Il y a eu des mastectomies, des interventions…"
Attention aux abus"À partir du moment où le phénomène a pris de l’ampleur, des professionnels, en Europe, se sont regroupés (groupe La petite sirène, NDLR) pour mettre en garde contre l’abus qu’il y aurait à répondre trop vite médicalement voire chirurgicalement à ces demandes chez l’enfant ou l’adolescent. Une réponse trop rapide ne lui permettrait pas de traverser la crise qu’une telle question lui pose pour en sortir."
Que se passe-t-il alors dans cette démarche ?
"La démarche pourrait être : « Je suis ce que je pense que je suis ». Le jeune aspire à la reconnaissance implicite que sa singularité est ce qu’il veut qu’elle soit. Il y a, derrière ce comportement, une revendication individualiste qui s’est propagée jusque chez les enfants et les adolescents. Pour certains d’entre eux, cela leur permet d’ébranler les certitudes familiales, celle de la génération d’avant. Ce qui n’est pas une nouveauté.
La nouveauté, c’est qu’ils revendiquent d’être reconnus par le social. Selon eux, s’ils le ressentent, c’est que cela est important et que leur ressenti est prévalent. Or, aujourd’hui, dans notre société, ils accèdent à cette reconnaissance. L’Education nationale accepte qu’ils changent de prénom. Ses camarades acceptent de l’appeler comme il le veut. Cela questionne, car c’est tout le système social qui donne légitimité à cette recherche. S’il reçoit d’emblée cette reconnaissance, on se demande où est encore le travail à faire pour qu’il supporte de faire avec ce qu’il est."
Quel est le rôle des réseaux sociaux dans le développement de ce phénomène ? Simple amplificateur ?
"Les réseaux sociaux sont plutôt embarrassants… Ils font partie de l’arsenal de l’existence des jeunes qui sont très vite sous la dépendance de ce qui va être dit, là. Ils n’ont plus beaucoup de latitude pour se créer leur propre pensée. Réfléchir, ça demande un peu de recul. Les réseaux ont une manière de subvertir la réflexion, la pensée, au profit d’une dictature de l’opinion. Le phénomène des transgenres est donc amplifié par les réseaux sociaux, car ceux qui interviennent là, ce sont presque toujours les prosélytes ou les défenseurs de la cause. Les réseaux ne sont pas du côté de la tempérance…"
Pensez-vous qu’il s’agisse d’un véritable phénomène de société ou est-ce un épiphénomène ?
"Il y a deux niveaux. Dans les faits, le nombre augmente. C’est vrai. Mais le problème de fond, lui, reste posé et imposé. Est-ce que nous allons vers la décision de pouvoir nous appeler selon notre genre et plus notre sexe ? Supprimer le sexe sur les cartes d’identité ? Ou rendre possible un troisième sexe ?
Ce qui est compliqué ici, c’est que l’évolution de la société fait qu’il y a spontanément une reconnaissance qui se fait de plus en plus pressante, pour entériner ce que le sujet dit qu’il est. « Je dis donc je suis. »
Cela va de pair avec un individualisme déconnecté du collectif. Il ne s’agit pas d’une singularité qui se libère du collectif pour trouver sa vérité. Il suffit de « se dire ». Il y a peut-être des conséquences qu’on ne mesure pas trop. Et l’on se demande jusqu’où ira-t-on."
Michèle Gardettemichele.gardette@centrefrance.com