Dans son livre, Impunité, la journaliste Hélène Devynck accuse l’ancien animateur télévisé Patrick Poivre d’Arvor de viol. Mais au-delà de son cas personnel, c’est tout un système qu’elle dénonce.
Pendant de nombreuses années, Hélène Devynck était de l’autre côté de la barrière. En tant que journaliste à TF1 ou LCI, c’est elle qui posait les questions. Depuis la sortie de son livre, Impunité, dans lequel elle accuse Patrick Poivre d’Arvor de l’avoir violée en 1993, c’est elle qui doit répondre aux interviews. « Je n’ai pas l’habitude », souffle-t-elle délicatement.
Depuis sa sortie il y a une quinzaine de jours, Impunité, connaît un retentissement sans précédent : l’ouvrage rassemble les témoignages de plusieurs femmes qui ont toutes dénoncé avoir subi des agressions sexuelles ou des viols de la part de l’ancien présentateur du journal télévisé, toujours présumé innocent.
Hélène Devynck assure ne pas se battre pour elle-même. Le viol dont elle accuse l’ancien journaliste de TF1 est couvert par la prescription.
« Ce n’est pas parce que les faits sont anciens qu’ils n’existent pas. Je me bats pour que mon cas serve à d’autres pour faire éclater la vérité. Notre parole ne doit pas être effacée ».
Impunité répond à cette promesse. Toutes les femmes qui font entendre leur voix ici, et qui ne se connaissaient pas, décrivent, à peu de chose près, le même mode opératoire. Et un climat professionnel qui, selon leurs dires, a pu permettre de dépasser toutes les limites.
« Certains hommes, quand ils sont dans une position dominante, c’est comme s’ils avaient une permission de violer. J’ai collecté des dizaines de témoignages. Pendant une période qui va de 1981 à 2016, rien n’a arrêté cet homme ».
En journaliste, elle parle de « faits et constats ». Son écriture, précise, directe, mais jamais sèche, laisse affleurer l’émotion, sans perdre de vue son objectif : comprendre :
« Je veux savoir pourquoi, comment, sur quel terreau ça s’est fait. »
Cette quête se fait dans la douleur. Il y a tout d’abord la « honte » qui ressurgit. La « honte d’une expérience extrême de l’humiliation ». Puis il faut supporter les réactions, qui ne sont pas toujours bienveillantes, loin de là.
« On nous reproche de ne pas avoir parlé, mais aussi d’avoir parlé. C’est comme un piège à loups, une mâchoire qui nous enserre et que ce livre voudrait faire exploser. Mais on se fait insulter. La seule chose qui nous protège, c’est qu’on est très nombreuses. »
Et quand on lui demande si elle s’attendait à être autant attaquée, Hélène Devynck a la voix qui tremble légèrement. « Pas à ce point quand même ». Avant de se reprendre : « Mais il n’y a pas que ça, nous avons aussi reçu beaucoup de soutien ».
Conjuration des puissantsCette écoute, Hélène Devynck affirme ne pas l’avoir sentie venir du sommet de l’État. Dans Impunité, elle s’alarme de la réaction d’Emmanuel Macron face à d’autres affaires.
« Le président de la République française a jugé que nos témoignages faisaient courir un risque d’inquisition au pays », écrit-elle. Aujourd’hui, elle parle de « conjuration des puissants. La parole des femmes est toujours remise en cause ».
Ce constat, elle le fait avec lucidité, mais sans amertume ni découragement. Aux fatalistes qui pensent que rien ne peut changer, que les puissants feront toujours les lois, Hélène Devynck offre une réponse cinglante au fil des 272 pages. « Si j’étais désespérée, je n’aurais jamais écrit Impunité. C’est aussi un livre d’espoir ».
Comme le précise l’éditeur du livre, le Seuil, Patrick Poivre d’Arvor « bénéficie, en vertu des dispositions du code de procédure pénale, de la présomption d’innocence ». Un peu plus loin, l’ouvrage insiste : « Des investigations sont ouvertes sur les faits rapportés par Hélène Devynck à l’encontre de Patrick Poivre d’Arvor, qui est présumé innocent ». Le cabinet d’avocats qui défend l’ancien présentateur du journal télévisé n’a pas fait parvenir sa réaction, malgré nos demandes.
Rémi Bonnet