Pour s’ouvrir les portes de l’Élysée, l’ancien Premier ministre va devoir incarner la rupture tout en restant dans la majorité présidentielle.
« Pour faire bien, il faut voir loin. » C’était il y a un an, les bras en V, Édouard Philippe créait le parti Horizons, dévoilant sans le dire des ambitions nationales. Depuis son discours du Havre, l’ancien Premier ministre a installé les bureaux de son mouvement dans l’immeuble parisien qui abritait en 1995 le quartier général de la campagne présidentielle de Jacques Chirac, et fait de la rareté le pilier de sa communication.
Une popularité qui n'est pas retombéeUne stratégie du pas de côté, loin des plateaux télé, qui fonctionne plutôt bien. Un sondage d’Elabe, publié il y a un mois, l’a placé en tête des personnalités politiques préférées des Français. 50 % d’entre eux ont une bonne image de lui, le deuxième étant le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, avec… 33 %.
« Il y a plus de six cents interviews politiques par mois en France, confie Gilles Boyer, député européen et conseiller spécial du Premier ministre de 2017 à 2019. On pourrait très bien se joindre au chorus et on ne reproche pas aux autres de le faire, mais qu’est-ce qui marque vraiment les esprits ? Édouard a choisi de s’exprimer plus rarement que d’autres, cela permet de s’extraire de la polémique du jour qui est remplacée par celle du lendemain, pour consacrer plus de temps et d’énergie à des sujets de long terme. »
Une rareté qui va un tempsMais le chemin vers la prochaine présidentielle est long et sinueux. La rareté en politique ne va qu’un temps, estime l’universitaire Isabelle Le Breton-Falézan. « La popularité d’Édouard Philippe s’est construite sur un style politique, modéré, pragmatique, respectueux des adversaires. Ce style fait mouche. Mais aujourd’hui, la vie politique est devenue tellement fracturée, tellement explosive, qu’il ne faut pas trop investir le style politique, qui peut lasser. »
L’enseignante-chercheuse en vie politique française et en communication politique estime que la séquence des retraites est le bon moment pour qu’Édouard Philippe rappelle l’ADN d’Horizons.
Il faut qu’il réinvestisse le terrain du combat politique. Le risque est qu’Horizons apparaisse comme un club, un pool de campagne avant l’heure, et ça ne suffira pas
Loyauté à Emmanuel MacronÉdouard Philippe marche sur une ligne de la crête, entre sa loyauté à l’égard d’Emmanuel Macron, qui l’a nommé à Matignon en 2017, et une liberté affirmée à l’égard du président de la République. Les âpres négociations en vue des législatives, au printemps dernier, ont montré le numéro d’équilibriste que doit jouer le Normand. Il espérait cent quarante circonscriptions pour Horizons, il en a obtenu cinquante-huit.
Le réservoir des électeurs de droiteAu final, trente députés philippistes ont rejoint le palais Bourbon et deux de ses partisans ont rejoint le gouvernement. Une bonne entrée en matière pour un jeune parti, qui possède une forte attraction à droite. « Édouard Philippe sait pertinemment que se joue la possibilité d’attirer dans Horizons des électeurs et élus locaux qui se sentiraient mal à l’aise dans la nouvelle ligne des Républicains telle qu’elle va émerger lors du prochain congrès. Si c’est Éric Ciotti qui l’emporte, il y a fort à parier qu’une partie des électeurs des Républicains plus modérés auraient vocation à se déporter sur Horizons. »
Il faut que l’homme réussisse à tenir une ligne de droite assumée et à ne pas s’aliéner les électeurs de la gauche sociale libérale, complètement orphelins, en jouant sur son style et sa modération
L'exemple de... Nicolas SarkozyPour gagner en 2027, il devra incarner la rupture, parie Isabelle Le Breton-Falézan. « Après deux mandats d’Emmanuel Macron, va se renforcer dans le pays un désir d’alternance, c’est un classique de la Ve République. Édouard Philippe devra être capable de réaliser ce qu’a fait en 2007 un certain Nicolas Sarkozy, même s’ils n’ont pas du tout le même style. Après deux mandats de Jacques Chirac, il y avait un fort désir d’alternance. Or Nicolas Sarkozy a réussi à exister au sein de l’exécutif – c’était un ministre de l’Intérieur très populaire, qu’on le veuille ou non - et il est parvenu à jouer une espèce de dissidence personnelle, en rupture avec l’immobilisme chiraquien. »
Guillaume Bellavoine