Une exposition reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture : c’est une première à Aurillac (Cantal) et pour son musée d’art et d’archéologie. Son exposition estivale vient braquer un projecteur sur l’histoire des clichés en couleur à l’heure où ils pénètrent dans galeries et musées jusqu’alors seulement ouverts au noir et blanc. Un zoom... éclatant !
Martin Parr, John Batho, William Eggleston et James Barnor entrent dans une salle d’exposition à Aurillac. Ça commence comme une blague. Ce n’en est pas une. Et si ce ne sont pas eux précisément qui entrent, en personne, dans la salle des Écuries, à Aurillac (Cantal), ce sont bien leurs œuvres respectives.Pas une blague, donc. Mais un coup de maître du musée aurillacois qui expose, tout l’été, une partie de son fonds photographique. Un fonds rare, précieux, totalement méconnu et constitué, discrètement, depuis le milieu des années 1980. Et ce fonds-là a quelque chose de tout à fait particulier.
De brillant : « il est unique, en France et en Europe », considère Lilian Froger, chargé des collections contemporaines du musée d’art et d’archéologie d’Aurillac, commissaire de l’exposition 1976-1986, une décennie de photographie couleur, labellisée d’intérêt national par le ministère de la Culture.
La glace à la plage : cliché de Martin Parr. photo Jeremie Fulleringer
Une singularité pour cette collection, plurielle, héritée d’une sacrée audace. Ou plutôt d’une intuition, d’un déclic pour la photographie couleur. Ce déclic, c’est Annie Philippon, conservatrice des collections du musée aurillacois dans les années 1980, qui l’a.
« Elle a été conseillée par Michel Quétin, qui était responsable du département photo aux Archives nationales à Paris, et Jean-Claude Lemagny, responsable de la photographie à la bibliothèque nationale de France »
Ils identifient une sorte d’angle mort dans les collections d’art : la photographie couleur, alors absente des musées, galeries et salles d’exposition, partout dans le monde, car jugée trop populaire, trop commerciale. Pas assez artistique. Tout juste la polychromie pointe-t-elle dans les pages de magazine pour la publicité et la mode. Ou bien la pratique amateur.
Absente des institutions culturelles, pourquoi le musée d’Aurillac ne ferait-il pas de la photographie couleur un axe prioritaire d’acquisition afin de différencier sa collection en devenir de ce qui se constitue ailleurs?? La société, en général, et les musées d’art, en particulier, ne sont pas prêts ? Aurillac l’est !
Le musée d’Aurillac possède plusieurs tirages de William Eggleston (ci-dessus), qui a photographié Graceland, en 1983, à la demande de Priscilla Presley, la veuve du King. Photo Jérémie Fulleringer
John Batho, Helen Levitt, William Eggleston, Luigi Ghirri et les autresEn quelques années Annie Philippon fait acheter séries photographiques et ensembles d’images de John Batho, Helen Levitt, William Eggleston, Luigi Ghirri, Alain Fleischer… De grands noms de la photographie couleur, dont certains, alors méconnus, vont se révéler au fil des années. Et dont la cote a explosé, depuis.
Il y a des œuvres, dans notre fonds, que nous ne pourrions plus acquérir, aujourd’hui. C’est certain.
, souffle Lilian Froger. Débutées en 1984 avec des budgets importants de la Ville qui soutient cette audace artistique en vue de constituer son fonds patrimonial, les acquisitions s’enchaînent « d’autant plus que le marché de la photographie était bien différent de celui d’aujourd’hui », analyse le directeur des collections des musées de la ville.
Au fil du temps, l’équipement a constitué une somme des élans et gestes artistiques de toute une époque. « Il n’y a aucune autre collection au monde qui s’est ainsi focalisée sur les œuvres couleurs, d’artistes majeurs. Évidemment en termes de volume, la collection n’est pas comparable avec celle du centre Pompidou ou celle du MoMa à New York. Mais si on ne se concentre que sur la couleur, elle est extrêmement riche. Si on va en Autriche, on peut trouver des photographies d’Alfred Seiland. Le musée Albertina à Vienne en a beaucoup plus que nous, qui en avons cinq. Idem aux États-Unis : le MoMa a des centaines d’œuvres de William Eggleston?; nous n’en avons que quatre ».
Mais Aurillac a cette spécificité : rassembler une sorte d’échantillonnage de tout ce qui s’est fait à l’époque?; ce qui rend sa collection unique, en Europe et quasiment au niveau mondial, c’est sa diversité.
La richesse d'une collection originale et uniqueMême pas besoin de bain révélateur : l’audacieuse idée de constitution d’un fonds photographique se développe, en quelques années, et apparaît finalement comme une richesse, un marqueur qualitatif de la collection aurillacoise.
Un élan avant-gardiste qui rend fiers l’équipe du musée d’art et l’actuel élu aurillacois en charge des affaires culturelles, Frédéric Sérager, tous heureux de pouvoir accueillir, l’été venu, des visiteurs au-delà des seuls Cantaliens.
« Aurillac a cette spécificité : rassembler un échantillonnage de tout ce qui s’est fait à l’époque. C’est rare?! »
« Cette exposition est une belle valorisation de nos collections dans une approche contemporaine. Aurillac dispose d’un patrimoine rare d’art contemporain. Les photographies présentées viennent faire écho à des collections de lieux les plus prestigieux en France (la Bibliothèque nationale de France, le Centre Pompidou, …), et que l’on va accueillir ». D’où le label d’intérêt national décerné par l’État.
Plus de huit cents tirages aujourd'hui
Aujourd’hui, le musée d’Aurillac posséde environ huit cents tirages dans sa collection. Et continue toujours ses acquisitions. « Le musée d’Aurillac est la seule collection publique, en France, à posséder les œuvres de plusieurs photographes contemporains », précise Lillian Froger.
L’exposition estivale, elle, montre plus de 200 œuvres : pour moitié issues des collections du musée d’art aurillacois. Elle bénéficie également de nombreux prêts, accordés par des équipements et collections publiques mais aussi des collectionneurs particuliers. Elle est visible jusqu’au 19 septembre, aux Écuries, rue des Carmes, à Aurillac.
Marie-Edwige Hebrard
L'exposition est ouverte, tous les jours, aux Ecuries des Carmes, à Aurillac, du mardi au samedi (sauf le 14 juillet) de 14 heures à 18 heures. Jusqu'au 19 septembre.Elle circulera ensuite au Musée de La Roche-sur-Yon du 5 mars au 14 mai 2022 et au Château de Tours du 23 juin au 25 septembre 2022.