Raymond Faure pousse la double porte de l’église Saint-Martin, à Bromont-Lamothe, et entre dans la nef. Statues, vitraux, chapiteaux historiés, colonnes peintes… « Je suis surpris par la richesse du décor. » Le septuagénaire presse le pas vers sa voiture pour en sortir le matériel photographique. Un trépied et deux Nikon équipés d’objectifs différents. Un matériel semi-professionnel qui l’accompagne désormais partout.
La course du soleilRaymond Faure, photographe franco-allemand, ici à Reilhac (Cantal), doit composer avec la lumière. Photo Jeremie FulleringerRaymond Faure est un passionné comme il en existe peu. Perfectionniste, il a entrepris voici quelques années de faire l’inventaire exhaustif des églises romanes d’Auvergne et de Bourgogne. Un travail colossal. Orcival, Saint-Nectaire, Notre-Dame-du-Port… dans le Puy-de-Dôme, puis quarante-trois églises dans le Cantal. De mai à octobre, il sillonne les routes et remonte le temps… Sans perdre une seule seconde.
« Je dois anticiper la course du soleil et photographier chaque détail. »
Organisé à l’extrême, il a tout planifié durant plus d’un mois, envoyé 450 mails aux mairies et diocèses pour s’assurer de l’ouverture des édifices religieux et, le cas échéant, obtenir l’autorisation d’y accéder. Le gîte et le couvert, il les trouve grâce aux religieux et autres paroissiens qui daignent l’accueillir contre des photos de leur église, de leur monastère. Ces jours-ci toutefois, son périple lui permet de rendre visite à sa sœur, à Murat-le-Quaire. Une parenthèse familiale qui n’est pas fréquente pour lui qui réside à Goslar, en Allemagne.
Une valse à mille temps… de poseRaymond Faure, pense à la prochaine photo pendant le temps de pose. Photo Jeremie FulleringerMais il parle trop. Beaucoup de travail reste à faire. Raymond Faure se concentre sur les chapiteaux de la petite église.
« Je me régale avec les chapiteaux et les tympans, il n’y en a jamais assez. »
L’ancien militaire mitraille et immortalise chaque détail. Rien ne lui échappe. Malgré une lumière éclatante en cette fin de mois de mai, la faible luminosité à l’intérieur de l’édifice roman l’oblige à augmenter le temps de pose de l’appareil. Qu’à cela ne tienne. Il visualise la prochaine prise de vue puis déplace son trépied. Le photographe avance ainsi au rythme des temps de pose et entame une valse qui ne s’interrompt qu’après en avoir terminé avec ce somptueux décor. « Je dois faire l’extérieur à présent?! » Un habitant l’observe, immobile. Raymond Faure lui adresse un « bonjour » amical et poursuit sa quête. Après deux heures d’efforts, la séance prend fin. « Parfois, j’oublie de manger », sourit le passionné d’histoire.Raymond Faure franco-allemand a d'ores et déjà répertorié site internet 367 édifices religieux romans. Photo David Allignon
Une gorgée d’eau. Comme une bénédiction. Un dernier regard sur l’église Saint-Martin en guise « d’au revoir ». La crainte d’avoir oublié un élément ne l’effleure pas. Avec près de 367 édifices romans auvergnats à son actif et 35.000 clichés réalisés, il a l’habitude. Cette base de données inestimable -utiles aux étudiants, chercheurs ou simples passionnés- n’a pas été constituée lors d’un seul et unique voyage.
Chaque édifice réserve son lot de surprises« C’est mon quatrième passage dans le Cantal », précise le Stéphanois -il est né à Saint-Etienne en 1949- sans montrer le moindre ennui. « Toutes les églises sont différentes, ce n’est pas lassant. » Les deux Nikon en bandoulière, le trépied à la main, il marche d’un pas décidé vers son Renault Scénic qui montre des signes évidents de fatigue (*).
« Ma femme crie au scandale quand elle voit le kilométrage. »
Un coup d’œil sur son road book. Raymond Faure a déjà l’esprit ailleurs. Tourné vers une autre église. D’autres trésors de l’art roman. De retour chez lui, fin octobre, l’étape sédentaire du travail va débuter. La sélection des prises de vue, l’écriture des légendes et le référencement sur son blog va l’occuper durant des mois. Au moins tout un hiver.
Renseignements militairesRaymond Faure, à d'abord fait carrière dans le renseignement militaire. Photo Jeremie FulleringerMais d’où lui vient ce goût pour l’aventure et le patrimoine?? « Je suis un vestige de la guerre froide », s’amuse-t-il aujourd’hui. Cela n’avait pourtant rien d’un jeu lorsqu’il s’engage dans l’armée de l’air à la fin des années 1960. Ses supérieurs de la base de Nîmes décèlent chez lui des capacités d’apprentissage et lui suggèrent d’étudier la langue russe. Et cela dans un but précis. Orléans, puis Metz, le jeune aviateur de 21 ans est finalement muté à Goslar, ville de Basse-Saxe, en Allemagne. Son rôle : espionner les transmissions des forces aériennes russes basées en République Démocratique Allemande, ex-RDA.
À l'écoute de l'aviation russe de l'ex-RDASpécialiste du renseignement, il officie pendant des années à quelques encablures du bloc de l’Est avant de rejoindre Djibouti, en Afrique de l’Est. Là aussi, ses talents de traducteur lui permettent de recueillir des renseignements cruciaux sur les troupes de l’armée sud Yéménites pour une seule et unique raison : « ils étaient formés et équipés par les Russes, avec du matériel russe. » Novembre 1989, le mur séparant les deux Allemagnes tombe et entraîne dans sa chute le bloc de l’Est. Les Russes coupent le son. La carrière militaire de « l’oreille » des services secrets s’achève peu de temps après.
Sauvegarde du patrimoineBromont-Lamothe, il photographie aussi l'église Saint-Martin à l'extérieur afin de ne rien oublier. Photo David Allignon.Commence alors pour Raymond Faure une autre vie, tournée vers sa passion pour l’histoire et le patrimoine. « Même à l’armée j’aimais l’architecture. » En 1993, maîtrisant le français, l’allemand, l’anglais, et le russe bien entendu, il devient guide touristique à Goslar, où il a fait sa vie aux côtés de Christa avec laquelle il a eu un enfant. En 2000, avec l’exposition universelle d’Hanovre, dans le land de Basse-Saxe, lui vient l’idée de traduire en français les dépliants touristiques. C’est à ce moment précis qu’il crée son site internet.
Les photos s’accompagnent de commentaires et renseignent les visiteurs sur les incontournables du Hartz, la région qui l’a accueillie voici trois décennies. Sentiers de randonnées, sites architecturaux et édifices religieux s’additionnent sur la toile. Une somme d’informations conséquente dont il prend la mesure quand un incendie ravage une très ancienne bâtisse à colombages de la ville. Grâce à ses nombreuses photos, elle peut être reconstruite à l’identique. Un déclic.
« J’avais photographié tout le Hartz, je connaissais la route romane et je voyais cet art évoluer de régions en régions. »
Alors pourquoi se contenter des seules merveilles de l’art roman en Allemagne?? La suite, on la connaît. Raymond Faure a rassemblé à ce jour plus de 230.000 photos sur son blog. L’œuvre de toute une vie.
(*) Raymond Faure recherche actuellement des mécènes et sponsors pour l’aider à financer ses prochaines expéditions sur la route de l’art roman. Blog : www.raymond-faure.com. Mail : info@raymond-faure.com
David Allignon