«C’est un rôle très discret?! » En ce mois de mars, tandis que, dans la cathédrale Saint-Étienne de Bourges toute proche, le tournage de Notre-Dame brûle se poursuit, sous la direction de Jean-Jacques Annaud, le père Jean-Michel Bodin savoure le calme de son appartement, dans l’ancienne clinique Marie-Immaculée. Bien loin de l’effervescence, des caméras et des projecteurs.
« J’ai été mobilisé pendant trois jours, précise-t-il. Le réalisateur voulait un prêtre de la cathédrale pour accompagner l’un des acteurs. Il fallait quelqu’un avec des cheveux blancs… Le sacristain m’en a parlé après un office et j’ai dit “pourquoi pas??” »
Le réalisateur voulait un prêtre de la cathédrale pour accompagner l’un des acteurs. Il fallait quelqu’un avec des cheveux blancs… Le sacristain m’en a parlé après un office et j’ai dit “pourquoi pas ?”
Jean-Jacques Annaud détaille le tournage de Notre-Dame brûle qui débute ce mardi à la cathédrale de Bourges
C’est ainsi que le père Jean-Michel Bodin, à la retraite depuis 2015, s’est retrouvé au cœur de l’action. « J’étais l’assistant de l’acteur qui joue le chanoine principal de Notre-Dame », poursuit celui qui est lui-même un « vrai » chanoine. « Je me tenais à côté de lui pendant qu’il intervenait. En trois jours, nous avons eu le temps de discuter?! C’est un comédien de la Comédie Française?; il prenait son travail très à cœur. Ce qui est amusant, c’est qu’il m’a dit qu’il était protestant. Une de mes découvertes, en parlant avec les uns et les autres, a été de constater que certains, comme lui, issus d’autres religions, découvraient la liturgie catholique, que d’autres découvraient l’église pour la première fois, tandis que d’autres encore, comme la cantatrice (la soprano Nathalie Gaudrefroy, membre des chœurs de l’Opéra du Rhin, à Strasbourg NDLR), ont l’habitude des célébrations. »
Le père Jean-Michel Bodin réside à deux pas de la cathédrale Saint-Etienne de Bourges. Photo Pierrick Delobelle
À Bourges, vêtue de la tenue bleu vif des choristes de la maîtrise de Notre-Dame, Nathalie Gaudefroy a chanté l’Ave Maria de Schubert. Un chant interrompu, dans le film, par le déclenchement d’une alarme incendie, qui la laisse interloquée. Après elle, l’organiste cesse à son tour de jouer. Ce dernier, Johann Vexo, titulaire du grand orgue de la cathédrale de Nancy et organiste du chœur de Notre-Dame de Paris, « était à l’orgue quand l’incendie s’est déclaré », le 15 avril 2019, souligne le père Bodin.Ce soir-là, a raconté l’organiste, même après avoir entendu l’alarme, il n’a pas eu conscience du drame qui se jouait, pensant à un dysfonctionnement du système. Les fidèles et les touristes ont évacué les lieux?; il a pris le temps, quant à lui, de rassembler ses affaires avant de partir. C’est une fois rentré chez lui qu’il a appris, par un coup de fil, que Notre-Dame s’était embrasée.
Sollicité par Jean-Jacques Annaud, il a accepté de jouer son propre rôle dans le film. C’est ainsi qu’il a retrouvé la cathédrale Saint-Étienne, qui ne lui est pas inconnue : « Il est déjà venu à Bourges pour des concerts d’été », à l’occasion du festival Les Très Riches Heures de l’orgue en Berry, organisé par l’association des Amis du grand orgue de Bourges.
Le père Bodin avoue avoir été bluffé par la reconstitution de Notre-Dame entre les murs de Saint-Étienne de Bourges. « J’ai été étonné par tout ce matériel, par la technicité déployée… Ils ont reconstitué un faux coffret pour la sainte Couronne, ils ont fabriqué des chaises… Je leur ai demandé s’ils les laisseraient, mais ils m’ont dit qu’ils les feraient brûler?! Ils ont installé des brûle cierges avec les prix pratiqués à Paris. C’est 3 euros là-bas, alors qu’à Bourges, c’est 1 euro?! Il y avait même des prospectus de Carême de 2019. Ils ont vraiment tenu à avoir un cadre le plus exact possible. C’est pour cela qu’ils tournent aussi à Sens, dont l’extérieur est plus proche de celui de Notre-Dame. La façade de la cathédrale de Bourges, avec ses cinq portails, est unique?! »
La chapelle des Sept-Douleurs reconstituée à Bourges. Photo Pierrick DellobelleLe seul petit bémol qu’il veut bien admettre porte sur la reconstitution des vêpres, interrompues par l’incendie. « La lecture correspond bien à la célébration, mais l’Ave Maria n’intervient pas à ce moment… » C’est le professionnel qui parle, et c’est du bout des lèvres, lui qui a apprécié de bout en bout cette découverte d’un univers qui lui était inconnu.« Jean-Jacques Annaud est un homme très simple et très chaleureux. On a parlé très simplement avec lui. J’ai aussi beaucoup aimé la qualité de la relation que j’ai pu avoir avec le personnel, en particulier ceux que l’on appelle les intermittents du spectacle. »Comme tous les comédiens, le père Jean-Michel Bodin a eu droit, tous les jours, à l’habillage, au maquillage, à la coiffure… « Cela m’a amusé, car je ne suis pas habitué, et j’ai trouvé que les gens étaient pleins de délicatesse à notre égard. Ils prenaient soin de nous. »
Bien que le père Bodin ait sa propre tenue de chanoine, une aube et un cordon lui ont été fournis. Et puis, « il fallait que je prenne la médaille propre à Paris, qui n’est pas la même que celle de Bourges?! » Outre le costume, des lainages étaient prévus pour se réchauffer entre deux scènes, car il ne faisait pas chaud dans la cathédrale. « On passe une heure à attendre pour cinq minutes de tournage. En ce qui concerne le rôle du comédien qui joue le chanoine, il préside la célébration, il lit un texte liturgique, et il a aussi un moment de méditation au pied de la statue de la Vierge. C’est tout ce qui a été tourné ici. »Pendant ces trois jours, le père Bodin a déjeuné avec l’équipe, sous le barnum installé dans le jardin de l’Archevêché, et multiplié les rencontres, aussi bien avec les professionnels qu’avec les nombreux figurants recrutés pour les besoins du tournage. « Le premier jour, ils faisaient les touristes?; le deuxième jour, c’était les enfants, et le troisième, ils représentaient plutôt des fidèles. Il y avait des religieuses. Je suis allé les voir, pour leur demander à quelle congrégation elles appartenaient, et elles m’ont répondu qu’elles étaient figurantes?! J’ai parlé avec un groupe de Cambodgiens venus de la région parisienne… Il y avait toutes sortes de gens d’horizons différents. »
Déambuler pendant trois jours, avec une foule d’inconnus, dans une reconstitution de Notre-Dame de Paris a été une expérience pour le religieux, qui connaît bien le monument parisien. « J’ai fait un certain nombre d’études à Paris et l’on participe régulièrement à des célébrations à Notre-Dame… C’est un lieu de rassemblement, pour nous. On la connaît, on connait son fonctionnement. En plus, notre évêque (Mgr Jérôme Beau, NDLR) a été longtemps évêque auxiliaire à Paris. Et puis, les deux cathédrales ont été construites à la même époque. Il y a beaucoup de liens entre les deux. »
Ce serait bien qu’une avant-première soit organisée à Bourges pour présenter le film
Et c’est en toute logique que celle que l’on surnomme la petite sœur de Notre-Dame a été retenue comme lieu de tournage par Jean-Jacques Annaud. « C’est une très bonne chose pour la cathédrale, c’est une façon de la mettre en valeur, de la faire connaître, admet le père Bodin. Déjà, la plupart des comédiens et des techniciens ne la connaissaient pas. Mais on transforme un lieu de prière en lieu de tournage… Cela pose la question, toujours présente, de la façon d’articuler le culturel et le cultuel, de respecter un minimum de destination de prière. La cathédrale a été fermée pendant trois semaines. Heureusement, le tournage s’est achevé avant les fêtes de Pâques?! »
Photo Pierrick DelobelleLe calme retrouvé, le père Bodin a les yeux qui brillent au souvenir de ce tournage. « Je ne regrette pas d’y avoir participé. On sort enrichi par tous ces contacts. » Et il se prend à rêver d’une avant-première du film à Bourges.
Le regard des professionnels sur le tournage
Le père Bodin en compagnie de Giuseppe Larizza, sacristain de la cathédrale, qui a tourné à quatre reprises dans le film. Photo Pierrick DelobellePlusieurs professionnels ont veillé sur la cathédrale Saint-Etienne, pendant le tournage de Notre-Dame brûle, tandis que d’autres jouaient leur propre rôle ou faisaient de la figuration.Valérie Richebracque, architecte des Bâtiments de France, a travaillé en amont avec la production et est venue à plusieurs reprises sur le tournage, suivi au quotidien par un membre de son service.L’église, affectataire de la cathédrale, qui appartient à l’État, était représentée par les sacristains, Xavier Salomon et Giuseppe Larizza, qui ont assisté à tout le tournage. Sans oublier le père Bodin, dans le rôle du consultant?!Dans un autre registre, mais toujours avec le même souci de véracité, un représentant des pompiers de Paris suit le tournage de bout en bout, pour conseiller les comédiens, et les pompiers du Cher ont été sollicités pour tourner quelques scènes.
Martine Pesez