Raconté avec humour, le périple d'Anne Hidalgo qui sillonne la France, en campagne. Mais arrivera-t-elle à séduire les Français ? Opinion.
Par Aurélien Véron.
Paris tangue. Les arbres et autres glycines centenaires tombent aussi vite que le béton grimpe. Les chantiers s’enlisent et la confusion gagne à tous les étages. La majorité se déchire au point de voir les élus vegans se transformer en féroces carnassiers dans les couloirs de l’Hôtel de Ville. Paris se fracture, mais voilà. Anne Hidalgo a la tête ailleurs.
Même pendant les interminables conseils de Paris, elle est présente sans vraiment être là. Elle pointe le bout de son nez deux ou trois heures tout au plus sur trois jours de débats passionnants sur la pêche au vif, le suivi de l’endométriose et l’aide à l’enclave arménienne du Haut-Karabakh.
Elle a confié les manettes à son premier adjoint, mais sans le mode d’emploi. Quand il a proposé un confinement dur de trois semaines pour Paris, elle s’est empressée de le désavouer publiquement devant l’indignation générale, bien qu’elle soit très probablement à l’origine de cette fausse bonne idée.
Anne Hidalgo veut voyager. L’attrait du grand large sans doute. D’abord Nancy, ensuite Douai. La voilà partie pour écrire un nouveau guide de voyage à la campagne. Ou plutôt en campagne, car elle ne s’en cache plus. Elle se verrait bien candidate à l’Élysée en 2022. Voilà pourquoi on ne l’a pas vue en Falcon comme en 2019 pour le Tour de France. Cette fois, elle prend le train pour la photo.
Finie la bamboche, il faut la jouer ascétique éco-responsable. Rutabaga et quinoa à chaque repas, et jus de pomme bio non filtré. Il faut dire que c’est une maline, Anne Hidalgo. Elle a déjà fait la nique deux fois à la droite parisienne en fédérant toutes les composantes en principe incompatibles de la gauche. Pourquoi ne pas tenter sa chance à l’échelle nationale ? Encore en phase de chauffe, elle n’est pas encore totalement dans le bon tempo.
Quand elle a fait comprendre au pays qu’à Paris à 18 heures, on n’est qu’en milieu d’après-midi, la province a eu la digestion difficile. Elle est mal passée, l’image des bouseux qui rentrent pour l’Angélus, un bol de soupe et puis dodo. Il va falloir lui expliquer qu’il y a l’électricité et l’eau courante au-delà du périph.
À l’approche des 150 ans de la Commune, Anne Hidalgo devait être plongée dans la description de la paysannerie par Gustave Courbet (délégué à la Culture sous la Commune). Il faut comprendre qu’elle compte beaucoup sur le récit arrangé de ces 72 jours pour tenter de recomposer l’unité de la gauche à Paris.
Bref aux heures de bureau, alors que l’Hôtel de Ville est en pleine effervescence, elle sillonne la France. À défaut d’avoir des idées, son premier objectif, c’est de rassembler. Du dernier bastion de la gauche universaliste et favorable à l’économie sociale de marché aux illuminés d’EELV, sans oublier une espèce en voie de disparition : le parti communiste français.
Elle a toutefois compris que la donne avait un peu changé depuis les dernières municipales. Les écolos l’attendent dorénavant le couteau entre les dents.
En remportant plusieurs grandes villes, ils ont eu la folie des grandeurs. Ils se sont dit que l’heure de la révolution décroissante était venue. Finie la viande dans les cantines, terminée la culture élitiste qui se croit tout permis, à mort le tour de France commercial et sexiste, place aux sapins de Noël en planches de récup’ et au repli sur un localisme radical et collectiviste.
Le choc culturel avec les socialistes promet d’être rude. Ils vont devoir oublier le luxe ostentatoire et les bons cigares, les costumes sur mesure, les bonnes tables et les soirées olé-olé. C’est ceinture-bretelles avec les écolos.
Il faut s’exprimer en langage inclusif, décolonial et intersectionnel. Et devenir expert en toilettes sèches à pompe solaire, en ornithologie urbaine, en mobilier urbain recyclé, en débitumage, en espace dégenré de participation citoyenne et en compost.
À ce stade, le périple d’Anne Hidalgo en France profonde risque de s’apparenter davantage à une plongée au Cœur des Ténèbres. Disons-le, les Français ne sont pas encore totalement séduits par l’ambassadrice du boboïsme parisien qu’un sondage place à 6 %.
Son rejet obsessionnel de la voiture n’est pas du goût de tous dans un pays qui en fait son premier mode de déplacement. Sa nouvelle grammaire urbaine fait rire dans toutes les chaumières de France. Les Français ont déjà les ronds-points, ils ne vont pas se taper l’urbanisme tactique en rab.
Et puis qui rêve de voir débarquer sa déco à base de palettes, de barres de traverse et de cageots recyclés dans nos beaux terroirs ? Sans parler de son appétence pour les camps de migrants dont elle a fait un produit d’appel.
En tout cas Paris, c’est fini. Place à Anne l’exploratrice.