Sa passion ? Mettre en scène les chiffres de la pandémie de Covid-19. Sur Twitter, près de 30.000 amateurs de graphiques et autres histogrammes colorés suivent ses analyses quotidiennes de l’épidémie
Quand on a appelé Guillaume Rozier par téléphone, il terminait juste une réunion de travail pour sa boite de consulting informatique où il travaille en tant que data scientist depuis octobre. « Mes employeurs sont assez compréhensifs par rapport aux sollicitations médiatiques, sourit-il. Pour eux, Covid Tracker, c’est un outil d’intérêt public, en somme ».
Je me suis dit : “Est-ce que c’est normal que ce soit un étudiant qui fasse un site sur lequel se reposent les hôpitaux ?
Hospitalisations, réanimations, décès, par tranches d’âges, par départements… La pandémie de Covid-19 donne lieu à une avalanche de chiffres. Guillaume Rozier a été parmi les premiers à réaliser des graphiques de suivi, d’abord sur les réseaux sociaux, puis sur un site dédié, CovidTracker.
Mis à jour régulièrement, claires, ses visualisations ont rapidement séduit les médias. Comment ce tout fraîchement diplômé de l’école d’ingénieurs Télécom Nancy - spécialité big data - est-il devenu une référence des graphiques Covid-19 ? Comment CovidTracker est-il né ? J’ai l’habitude de travailler avec des données qui ont un lien avec la santé. Dans mon école d’ingénieurs, j’ai suivi une spécialité biomédical. Mais je ne suis ni médecin, ni épidémiologiste ! CovidTracker est né très progressivement, sans ambition de créer un site pour avoir des millions de vue. Au début, c’était juste un graphique. J’ai fait ça le 5 mars 2020, une dizaine de jours avant le confinement en France, quatre jours avant celui de l’Italie.
J’ai pris les données de l’université Johns Hopkins et j’ai construit le tout premier graphique à partir du nombre de cas en France et en Italie, en les comparant. Et là, j’ai été étonné : la France suivait exactement la même trajectoire que l’Italie. J’ai partagé ce graphique sur les réseaux sociaux. Les gens me demandaient ensuite la mise à jour, avec les nouvelles données, etc. Quand l’Italie a été confinée, les gens ont été encore plus demandeurs.
A la fin, j’ai fait une page Internet. Une semaine plus tard, il y avait 15 à 20.000 vues alors que je m’attendais à 5 vues ! Alors, ça m’a poussé à améliorer, à mettre un deuxième, troisième et quatrième graphique... J’ai ensuite inventé le nom “Covid Tracker” et j’ai amélioré le design. J’ai été porté par les gens sur Twitter qui adoraient. Vous avez aussi crée VaccinTracker pour suivre l’évolution de la vaccination....
Oui. Il y a deux semaines, j’ai décidé de lancer VaccinTracker sur un coup de tête. J’ai vu Mauricette qui se faisait vacciner et je me suis dit : “Comment savoir le nombre de personnes vaccinées ? “ Le matin - c’était le dimanche 27 décembre - je me suis lancé dans VaccinTracker ; j’ai développé toute la journée et le soir, c’est sorti. C’est donc assez improvisé, tout ça.
Et le ministre de la Santé Olivier Véran vous a appelé....
Oui. Au début de VaccinTracker, il n’y avait aucune donnée officielle. On ne connaissait pas le nombre de personnes vaccinées, ni le nombre de doses , rien. J’allais sur Internet et je cherchais dans la presse régionale des articles qui mentionnaient le nombre de personnes vaccinées. Le site a été lancé comme ça, de façon très artisanale.
Le lundi 28 décembre, BFMTV m’invite et s’étonne : “Il n’y a pas de chiffres officiels, vous êtes obligé à 24 ans de cumuler des sites récupérés sur Internet...” Le lendemain, j’ai un message du cabinet d’Olivier Véran.
Le lendemain, je rencontre son équipe qui m’explique la stratégie vaccinale et me dit : “On aimerait bien vous donner des chiffres un peu plus officiels, mis à jour.” Quelques jours plus tard, je reçois un appel d’Olivier Véran pour me dire qu’il suivait CovidTracker depuis longtemps, qu’il trouvait ça super, très clair, etc. Des hôpitaux utilisent CovidTracker?
Oui. Par exemple, le centre hospitalier de Grasse. Son directeur m’avait appelé en octobre pour me dire qu’ils utilisaient l’outil. A chaque cellule de crise, plusieurs fois par semaine, ils vont sur CovidTracker, observent les chiffres nationaux, puis les chiffres de leur département, afin d’évaluer la tension hospitalière. n Il y a de la fierté à concevoir un tel outil... Oui, bien sûr. Que ça puisse servir à des hôpitaux pour anticiper leurs besoins en lits, en personnels, ça me fait hyper plaisir. Je suis aussi fier d’avoir réussi à intéresser des gens à des choses que je pensais austères.
Je n’aurais jamais imaginé attirer plus de 20.000 personnes sur Twitter en partageant des graphiques, des probabilités.
Pour moi, les gens n’aimaient pas ça. J’ai réussi à rendre accessible la complexité et ça, j’en suis fier. Plein de gens sont perdus avec les données de l’épidémie. Ils me disent : “Grâce à CovidTracker, je comprends mieux ce qui se passe”. Nicolas Faucon nicolas.faucon@centrefrance.com