Star dans les années 80 et 90, avec de nombreux films populaires, vous privilégiez désormais la scène avec des rôles tout en intériorité. Pourquoi ce choix plus intimiste ? Mon désir ne s'est pas limité à ne faire que des films commerciaux et être toujours en haut de l'affiche. Je me suis vite aperçu de la vacuité de la notoriété. J'ai toujours rêvé d'être comédien et je suis revenu au théâtre car c'est là que l'émotion est la plus palpable et grisante. J'ai refusé des choses car je n'ai pas voulu entrer dans le star système. Qui vous apporte quoi ? De l'argent ? Pour acheter plus d'appartements, des voitures plus grosses. Je n'ai pas fait ce métier pour gagner de l'argent. J'en ai gagné aisément pendant plusieurs années. Les feux de la rampe, ce n'est pas tout ! Je m'intéresse à la vie qui n'est pas que le cinéma ou le théâtre. C'est aussi les gens, les vignerons que je côtoie, etc. Il faut quitter cet univers nombriliste pour se retrouver à hauteur d'hommes afin de comprendre et d'apprécier les gens dans leur vie. Il faut être à leur écoute. On a des droits et des devoirs. Je suis issu d'une famille qui a beaucoup donné pendant les deux dernières mondiales. Je suis la continuité d'une histoire. Anciens combattants, résistants ou déportés, mes ancêtres m'ont indiqué le chemin à suivre. Je ne peux pas être que frivole.
"Il faut avoir de l'argent mais pas en être esclave."
Vous avez interprété Guillaume Seznec, Jean Galmot, Pierre Laval,... et aujourd'hui Andréas, ce SDF dont la vie bascule le jour où il reçoit une somme d'argent qu'il compte rendre. Les personnages rugueux à l'histoire contrariée sont dans votre ADN ? Ce sont des destins difficiles. J'ai toujours été attiré par des sujets brûlants, qui font sens et suscitent des interrogations. Dans toutes nos vies, on est confrontés à des moments douloureux; la vie n'est pas faite que de brillants soleils, comme disait Baudelaire. Il y a aussi des éclairs et des moments difficiles. C'est ce que l'on vit actuellement avec la pandémie.
A quel niveau êtes-vous proche de ce SDF, ce "saint buveur" ? J'ai toujours été soucieux des gens qui ont du mal à joindre les deux bouts. On n'est pas toujours responsable de ses choix ; des gens ont plus de chance que d'autres. C'est là que l'Etat doit intervenir pour réguler les choses, contrer les inégalités. Car ce n'est pas dans la nature humaine d'aider les autres, il faut des incitations.
L'argent ne fait pas le bonheur, même pour un SDF : cela pourrait être la morale de la pièce. C'est tout le problème de notre société, il faut en avoir mais pas en être esclave. Aujourd'hui, on est sous l'emprise de la rentabilité, du profit. Et des gens risquent d'être mis de côté car ils ne sont pas dans cette culture d'être systématiquement le premier de cordée. Il y en a plein derrière.
"Je me suis inspiré de Charlie Chaplin, de Jacques Tati, Pierre Étaix"
"Ce Saint buveur"... a aussi une résonance très actuelle. Car c'est une réflexion autour du confinement, sur le fait de savoir quels sont nos véritables besoins, sur la valeur et l'emprise de l'argent. La société consumériste que nous avons bâtie depuis des années est-elle en bout de course ? Je le pense. Il faut changer de paradigme. Il faut réinventer, comme le disait le président de la République au début de la pandémie. On attend qu'il se réinvente. Je pense que les gens sont dans l'attente d'une espérance, qu'on leur dise : "On peut le faire, tentons le tous ensemble". Mais il y en aura toujours qui ne voudront pas.
Qui ?
Tous les tenants que le système néolibéral libéral avantage fortement. Les GAFA ont profité de la pandémie. Les salaires ont augmenté plus rapidement du côté du Cac 40 que des salariés en bas de l'échelle. Les inégalités se creusent de plus en plus. Dans ce contexte, ce sera difficile de convaincre les gens et je crains que les changements se fassent dans la brutalité et la guerre civile.
Redoutez-vous que cette crise génère de nombreux SDF comme Andréas, ce saint buveur ? C'est un risque très grand. Des secteurs seront très touchés. On est toujours à courir après ce virus, sans l'avoir pris au sérieux dès le départ. Je pense d'abord à la jeunesse qui arrive dans un monde que l'on leur a laissé dans un état pitoyable. Elle en paye déjà un lourd tribut, les SDF sont de plus en jeunes. Y aura-t-il de l'enthousiasme si fort pour prendre les rênes et dire : "On change nos besoins, notre façon de vivre. " Faudra-t-il d'autres catastrophes ?
Dans Le Saint buveur, vous jouez tous les rôles, faisant du mime, de la chanson et de la musique. Peut-on parler d'une performance de comédien ? J'ai fait un spectacle sur mesure. Je m'y suis mis tout entier, c'est quelque chose qui me ressemble. Je me suis inspiré de Charlie Chaplin, de Jacques Tati, Pierre Étaix. Ce sont des gens qui m'ont toujours influencé par leur poésie. C'est un langage universel. Il y a beaucoup de moi-même tout en sachant que je sollicite l'imaginaire du public à partir de quelques éléments, un son, des mots, une lumière évocatrice. C'est assez beau. Le théâtre est un art physique et sensuel.
Olivier Bohin
La légende du Saint-Buveur, de Joseph Roth. Adaptation, mise en scène et interprétation de Christophe Malavoy. Au Théâtre du Petit Montparnasse, à Paris. Date de reprise en fonction de l'évolution de la pandémie.