Le « micro-abattoir » de Bourganeuf (Creuse) n’est pas encore en service. Il ne doit tuer que dix vaches par semaine. Elaboré durant dix ans par un groupe d’éleveurs du Limousin, le pôle viandes locales revendique la lenteur, afin de trouver les solutions les plus respectueuses de l’animal, et fait le choix de valoriser une viande mature et affinée
En 2007, c’est la fermeture des abattoirs de proximité (Guéret, Eymoutiers, Giat…) qui a mis en route ce projet de “pôles viandes” porté par 80 éleveurs limousins orientés vers la vente directe. Et ce « micro-abattoir », voué à être la clef de voûte du pôle viandes locales, sera le dernier outil à entrer en fonctionnement sur le site de Langladure ( commune de Saint-Dizier-Masbaraud, près de Bourganeuf) . « Nous avons un désaccord avec l’entreprise qui a réalisé la fin de la chaîne d’abattage et nous attendons son intervention », explique Guillaume Betton, président de la SAS pôle viandes locales (société par actions simplifiée) .
Le désaccord n’est pour l’instant pas un contentieux et les éleveurs sociétaires espèrent pouvoir ouvrir l’abattoir avant la fin de l’année. Ils doivent pour l’instant toujours passer par les abattoirs de grande capacité de Limoges, Bessines ou La Châtre et rapatrier les carcasses dans les frigos de Saint-Dizier-Masbaraud.
Opération restos du Pôle viande locale, ZI de Langladure, st Dizier Masbaraud
La question de l’abattage a depuis le départ été la plus sensible et les porteurs du projet se sont donnés le temps de poser un nouveau jalon en terme de bien-être animal.
Prise en compte des recherches les plus pointues en éthologie animale
Cette préoccupation était parmi les moteurs du projet, en particulier celle du transport. « On a aujourd’hui des animaux qui sont transportés par des industriels de la viande vers des abattoirs en Europe de l’est où la main-d’œuvre est moins chère. C’est trois jours de voyage », relève Yohan Toulza-Le Maire, ingénieur-projet qui accompagne les éleveurs limousins. Les bêtes les plus éloignées de Bourganeuf ne seront transportées que sur 50 km.
La réflexion de ces paysans limousins respectueux de leurs bêtes a bien sûr été percutée par les campagnes animalistes, notamment celles des activistes de L214, qui ont interpellé les consciences des consommateurs et poussé à une réponse politique.
Le comité scientifique accompagnant le projet de Bourganeuf a mobilisé les recherches les plus poussées en éthologie (l’étude du comportement animal) : « Notamment celles de l’Américaine Temple Grandin, qui a suivi, à quatre pattes, le parcours d’une vache dans un abattoir », illustre Yohan Toulza-Le Maire. Claudia Terlouw (Inra) ou même les militants de l’Afaad (Association en faveur de l’abattage des animaux dans la dignité) ont validé les étapes de la conception. Des PME ont relevé le défi de cet abattoir destiné « à accueillir 10 vaches par semaine et non 80 à l’heure ».
Le parcours, à partir de la sortie de la bétaillère est conçu dans le moindre détail : pente de la rampe d’accès , lumières bleues, champ de vision restreint, bruits d’eau relaxants, corrals sans angles droits : « Les capacités sensorielles des animaux sont différentes des nôtres et différentes entre espèces », rappelle l’ingénieur.
« il faut considérer que le comportement de ces animaux est celui de proies. La vue d’un humain inconnu constitue une menace et provoque la peur »
Opération restos du Pôle viande locale, ZI de Langladure, st Dizier Masbaraud
Des caméras suivent l'animal pas à pas. Évacuer le stress, laisser le bovin, l'ovin ou le porcin progresser à son rythme (l’aiguillon électrique est banni), cela fait partie des « avancées ». Lorsqu’il arrive dans le box de contention qui précède l’étourdissement, celui-ci a été nettoyé en profondeur. « Les animaux sont très sensibles aux phéromones laissées par leurs congénères ». L’innovation ultime concerne le processus de mise à mort proprement dit.
Opération restos du Pôle viande locale, ZI de Langladure, st Dizier Masbaraud
De façon traditionnelle, c’est un « matador », qui frappe en un point précis du crâne et créé un choc qui plonge l’animal dans le coma. Pas d’approximation humaine possible car la tâche est robotisée. La précision est permise par l’intelligence artificielle nourrie de données fournies par les éleveurs eux-mêmes.
Ce box d’étourdissement multi-espèces (bovins, ovins, porcins) est une invention de la société Lamartine (Allier), une entreprise qui équipe les parcs zoologiques. L’innovation a coûté 400.000 euros et a été soutenue à hauteur de 200.000 euros par la région Nouvelle-Aquitaine.
La valorisation passe par la maturation et l'affinage des morceaux noblesL’une des stratégies affichées par le pôle viandes locales est celle de la « maturation et de l’affinage », notamment des morceaux nobles des bovins limousins ou charolais. Les plus belles côtes de bœuf maturées sont exposées dans des vitrines réfrigérées de la salle d’accueil du pôle. C’est le principe en somme du « vieillissement » du vin ou du fromage appliqué à la viande.
Opération restos du Pôle viande locale, ZI de Langladure, st Dizier Masbaraud À la mode, notamment dans certains restaurants, la viande maturée n’est pas un snobisme pour Guillaume Betton.
« Cela transcende le goût des viandes de grande qualité en concentrant les saveurs. Et cela prend le contre-pied de la standardisation du produit recherchée par les industriels. Nous partons sur une maturation et un affinage de 21 jours, mais ça peut aller au-delà en fonction des choix de l’éleveur ».
Opération restos du Pôle viande locale, ZI de Langladure, st Dizier Masbaraud
À partir d’une viande grasse et persillée, la maturation permet de « libérer toute la puissance du goût » en conservant à la viande toute sa tendresse. L’entreprise Dagard de Boussac, spécialiste des chambres froides, a réalisé à Bourganeuf sept chambres de maturation qui sont de « faible contenance, ce qui permet d’individualiser en fonction des choix de chaque éleveur en terme de température ou d’hygrométrie », souligne le président de la SAS Pôle viandes locales ( société par actions simplifiée).
Opération restos du Pôle viande locale, ZI de Langladure, st Dizier Masbaraud Autre outil déterminant (et très onéreux) : la cellule d’hibernation qui permet une congélation éclair (à -170 °C), sans altération des fibres et du goût.
Une équip de bouchers et charcutiers engagés dans ce projetIl n’y a pas que la haute technologie : le pôle viandes locales a recruté quatre bouchers-charcutiers, dont Éric, un ancien artisan indépendant creusois, formé à l’ancienne école de la tripe : « Ce qui nous permet de valoriser le cinquième quartier, c’est-à-dire les abats », se félicite Guillaume Betton. Une équipe qui a mis la barre haut également côté salaisons. Opération restos du Pôle viande locale, ZI de Langladure, st Dizier Masbaraud
Du saloir et du séchoir sortent déjà des produits susceptibles de faire un tabac dans les boutiques de vente directe tels, les saucissons de bœuf ou le jambon d’agneau (tranches fines de gigots séchés)…
Julien Rapegno
Photos: Bruno Barlier
Contact. Les commandes, y compris pour le drive (ouvert à tous) se font par internet : www.lesviandespaysannes.net.