A l'annonce des licenciements massifs chez Airbus, le site Aubert&Duval des Ancizes a de nouveau vaciller. Une goutte de plus dans un vase déjà bien plein. Pour Paul, salarié depuis plus de 20 ans, c'est "un coup de plus derrière la tête", après les mauvais résultats de Boeing et la rumeur d'une possible cession de l'entreprise Aubert&Duval au groupe Safran.
"A quelle sauce va-t-on être mangé ?"Si l'inquiétude inonde les ateliers, la colère se fait aussi sentir et emporte avec elle son vague à l'âme. "C'est très agaçant d'apprendre les nouvelles au compte goutte. On se demande bien ce qui va nous arriver et à quelle sauce on va être mangé ! Le pire c'est de ne pas savoir", confesse le quadragénaire dont le moral tangue de plus en plus.
"On est tracassé. Ici, aux Ancizes, tout le monde parle de cela. Aubert&Duval, c'est énorme ! La boîte emploie la famille, les voisins, beaucoup de sous-traitants. On ne parle que de cela toute la journée. Ca fait vivre toute une région."
Et dans cette atmosphère pour le moins anxiogène, les conditions de travail ne sont pas épargnées. "Des tensions naissent..., disons qu'après la crise qualité et le COVID, ça commence franchement à faire beaucoup."
Dans le salon de coiffure du village, l'heure est au debriefing. Nathalie, la gérante de Modern'Styls avoue avoir peur pour l'économie locale. "Beaucoup de nos clients, hommes et femmes, sont salariés chez eux, il y a aussi des anciens de chez Dietal qui a fermé et qui ont été embauchés là-bas. Tout cela nous tracasse... C'est certain."
Même s'il vit la situation de loin, après plus de 42 années passées dans l'entreprise Aubert&Duval, Yves Maignol ne cache pas sa tristesse. "J'ai débuté dans cette entreprise en 1971, à l'âge de 14 ans, et malgré les incompréhensions qui ont parfois agité l'entreprise, j'étais fier d'y travailler. De me dire, quand je regardais un avion voler, que j'avais participé à la fabrication du train d'atterrissage... Chez Aubert&Duval on ne fait pas "du fer à béton, mais on travaille des aciers spéciaux."
"Airbus, c'est 40% de notre chiffre d'affaires"Alors inévitablement, le retraité ressent "un pincement au coeur dès que l'entreprise va mal. "Car au-delà de ses souvenirs, encore bien présents, de sa nostalgie des débuts, il a "encore beaucoup de copains sur le site" à qui l'ancien salarié pense quotidiennement. Amer au moment de tirer le bilan, Yves Maignol n'est pas tendre.
Cette usine a 120 ans, c'est un crève-coeur de la voir souffrir...Mais aujourd'hui c'est le monde du pognon qui commande. Les actionnaires. Il en faut sûrement mais..."
Dépité lui aussi, Denis Bontemps, délégué FO sur le site des Ancizes analyse la situation avec inquiétude : "Airbus, c'est notre plus gros client. Il représente environ 40% de notre chiffre d'affaires. On réalise d'énormes recherches pour lui, on a fabriqué des usines pour lui, on a construit Ecotitanium ici pour lui. On a des outils uniques en Europe.... mais malgré tout cela nos efforts paraissent un peu vains. "Car pour le syndicaliste, Airbus ce n'est pas rien. "C'est un peu notre modèle qui se casse la figure. L'annonce est violente. Pour nous la météo est vraiment mauvaise."
Malgré une navigation à vue, le salarié veut croire à une accalmie. "L'aéronautique c'est sinusoïdal, ça va ça vient et quand ça décroche, ça décroche très fort. Mais on se dit que les gens ne vont pas s'arrêter de voler, que le marché va forcément rebondir !"
Un savoir-faire français et stratégiquePour se rassurer, Denis Bontemps veut croire au soutien de l'Etat. "On travaille pour la Défense (canons, réacteurs de Rafales, sous-marins, pièces pour équipements nucléaires...), notre activité est hyper stratégique. Ce serait quand même ennuyeux de ne pas conserver ces brevets entre des mains françaises. On parle de sécurité. Je ne trouverais par exemple pas très rigolo que les Russes sachent avec quoi sont fait le nez de nos sous-marins !"
Et s'il pense à son entreprise des Ancizes, le quadragénaire n'en oublie pas pour autant ses collègues. "On pense à nos copains de Constellium, d'Issoire Aéro... A chaque annulation de commandes on stresse un peu plus. On compte vraiment sur la piste du chômage partiel de longue durée." Avant de conclure, sans appel : "Notre savoir-faire est unique en Europe. Nos métiers sont rares. Notre fabrication est unique. Il est impensable que l'Etat nous abandonne."
Carole Eon