Le fait que l’État français soit omniprésent induit une forme d’économie administrée, qui, outre son coût élevé pour les citoyens et les entreprises, engendre des effets pervers. Il est indéniable, par exemple, que le succès de certaines entreprises repose, entre autres, sur leurs relations étroites avec le gouvernement, les décideurs politiques et d’autres élites du système, ce qui fausse leur performance et leur compétitivité sur le marché.
On accuse ces entreprises de bénéficier d’aides, de subventions ou d’exonérations, mais c’est aussi ainsi que l’État consolide son pouvoir et maîtrise, croit-il, l’économie du pays ! De leur côté, les entreprises tentent de compenser les pressions fiscales et sociales qu’elles subissent en obtenant des subventions, des contrats publics avantageux ou des régulations sur mesure. Les lobbyistes jouent ici un rôle clé, souvent comme les seuls défenseurs efficaces des entreprises, particulièrement des grandes, car les PME, elles, n’ont pas les moyens d’exercer une telle influence.
On aboutit alors à une forme de capitalisme de connivence, régulièrement dénoncée, mais dont la responsabilité est complexe à attribuer. Cela peut évidemment dériver vers des pratiques de corruption et de trafic d’influence. Un lobbying quasi officiel, souvent exercé par de hauts fonctionnaires ou d’anciens élus, tente ainsi de manipuler les décisions publiques. Ces interventions, monnayées ou non, sont parfois perçues comme légitimes par leurs auteurs.
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Au fil des années, la proximité entre les dirigeants économiques et les politiques s’est accentuée, donnant aux citoyens le sentiment d’être laissés de côté au profit d’élites souvent accusées d’être « toutes pourries ». Le président Emmanuel Macron, par exemple, est régulièrement qualifié de « président des riches ». Bien que cette accusation soit plutôt infondée, elle illustre le problème français : une méfiance envers les riches et la réussite financière, perçue comme injustifiée, imméritée ou malhonnête. Ce jugement est directement lié à cette connivence. Ce phénomène n’est pas propre à la France : l’indice du capitalisme de connivence publié par The Economist évalue la part de la richesse des milliardaires provenant de secteurs favorables à ce type de proximité, comme la défense, les infrastructures ou l’immobilier.
En France, les syndicats, qui ne représentent que seulement 10 % des salariés, possèdent néanmoins un grand pouvoir grâce à leur capacité de nuisance, notamment par la grève, cette menace suprême qui paralyse les réformes nécessaires.
Un exemple concret illustre selon moi cette influence excessive : celui d’un entrepreneur ayant créé un service de VTC (véhicules de tourisme avec chauffeur) dans le Vaucluse[1]. Ce service, couronné de succès au départ, proposait des prix compétitifs grâce à la rentabilité obtenue via des espaces publicitaires sur les voitures et dans les véhicules. Cependant, face à la panique des taxis, désireux de faire couler ce concurrent, le ministère de l’Intérieur intervient. Résultat : la loi est modifiée à deux reprises.
D’abord, une longueur minimale de 4,50 mètres est imposée aux véhicules, supérieure aux 4,40 mètres initialement choisis par l’entreprise, qui se voit contrainte de renouveler sa flotte. Ensuite, le lobbying des taxis obtient qu’une puissance moteur minimale soit exigée, sans justification claire. Ces interventions mènent finalement à la faillite de l’entreprise : investisseurs ruinés, vingt chauffeurs au chômage. Merci l’État. Ce manque d’éthique et cet interventionnisme de connivence créent des inégalités économiques et sociales flagrantes.
N’est-ce pas là une négation totale du libéralisme ? Ces pratiques courantes et immorales doivent cesser.
[1] Easy Take était une société de taxis fondée en 2009 dans le Vaucluse. Son modèle économique se distinguait par des tarifs forfaitaires attractifs, établis en fonction de la distance parcourue. Ces prix s’appliquaient quel que soit le nombre de passagers (véhicules de 4 passagers maximum), avec ou sans bagages. En parallèle de son activité de transport, Easy Take offrait des solutions publicitaires innovantes en utilisant sa flotte de véhicules comme supports de communication. Cela incluait le « covering » (habillage total ou partiel des véhicules) et la diffusion de clips publicitaires sur des écrans embarqués.
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