Pour les Chinois, 2024 était l’année du dragon. Pour la France, elle a été l’année des juges. Je préfère les dragons. Ils crachent du feu, mais ne maquillent pas leur puissance en vertu.
J’ai appris mes leçons. Je sais qu’une justice indépendante est un pilier de la démocratie. Je sais aussi que De Gaulle et Michel Debré se méfiaient des juges, raison pour laquelle la Justice a été réduite à la portion congrue d’autorité pendant que l’exécutif et le législatif se pavanent en pouvoirs. Quant à François Mitterrand, il disait à leur sujet : « Ils ont tué la monarchie, ils tueront la République. »
Les juges, des juges pour être précis, prennent leur revanche. Il ne leur suffit pas de se battre à armes égales et légales, ils entendent édicter des règles morales sorties de nulle part, sinon de leur brillant cerveau, mais qui s’imposent à tous. Puisqu’ils sont la bouche de la loi, la loi dit ce qu’ils veulent. Et comme ils entendent faire étalage de leur vertu démocratique, le puissant – terme applicable à quiconque passe à la télé – est désormais jugé bien plus durement que le misérable. Ils jouent sur du velours, on n’est jamais déçu quand on flatte les affects robespierristes.
Ces derniers mois, les tricoteuses, qui se délectent à chaque fois qu’une tête connue est placée sur le billot de la Justice, n’ont pas chômé. En guise de zakouski, elles ont assisté en octobre à la chute de Nicolas Bedos, condamné à six mois sous bracelet (donc à la mort sociale) pour un baiser dans le cou et un attouchement non prouvé (sur un pantalon). Mine de rien, un tribunal décide qui peut faire des films et qui ne peut pas. En plus des élégances morales, nos juges sont donc invités à arbitrer les élégances artistiques. Il paraît qu’ils ont appliqué la loi. Dans mon souvenir, le doute profite au prévenu, mais je chipote. Ce qui me chiffonne encore plus, c’est que la Justice accepte de se prononcer sur des microconflits qui, dans un monde normal, se résoudraient par une embrassade ou une paire de claques. À en croire une enquête certainement très sérieuse du Syndicat de la magistrature, la moitié (féminine on suppose) des magistrats aurait été victime de violences sexistes-et-sexuelles (la liaison est importante). Il faut bien que ces dames guérissent leur traumatisme.
A lire aussi: Like a virgin
Quelques semaines plus tard, les juges du parquet s’invitent dans l’élection présidentielle à l’occasion du procès des assistants parlementaires du FN. Non seulement ils exigent dans leur réquisitoire que la patronne du premier parti de France soit déclarée inéligible, ce qui est déjà contestable au regard d’une loi contestable (voir l’article de Jean-Baptiste Roques pages 14-16) mais, fait inédit pour un élu de la nation, ils demandent l’exécution provisoire, ce qui reviendrait, si les juges suivent le parquet fin mars, à priver Marine Le Pen de son droit de recours – et, ce qui est encore plus grave, à priver les électeurs du droit de choisir leurs gouvernants (sachant que ce qui est reproché à Marine Le Pen est assez véniel). C’est merveilleux, la loi est la même pour tout le monde, ronronnent les chroniqueurs. Manque de bol, un des procureurs mange le morceau et avoue que cela lui ferait trop mal de relaxer un prévenu contre lequel il n’a pourtant retenu aucune charge. Il paraît que ce proc a pris de longues vacances. En attendant, s’il s’agit de ménager l’estomac délicat de nos magistrats, je m’incline.
Un cinéaste talentueux et une prétendante sérieuse à l’Élysée, ce n’est pas rien. Mais un ancien président, c’est le trophée que tout adhérent du Syndicat de la magistrature rêve d’accrocher à son tableau de chasse. Surtout quand il s’agit de Nicolas Sarkozy, coupable de crime de lèse-petits pois. Le 18 décembre, la Cour de cassation confirme sa condamnation à trois ans de prison, dont un an ferme sous bracelet électronique, et à trois ans d’inéligibilité, pour corruption active et trafic d’influence. Or, toute l’affaire repose sur une conversation avec son avocat, écoutée de manière scandaleuse pour aller à la pêche du fameux argent libyen - dont il n’y a toujours aucune trace. Non seulement les juges bafouent l’un des premiers droits de la défense (la confidentialité), mais en plus ils espionnent un ancien président sans savoir ce qu’ils cherchent. Écoutons, on trouvera bien quelque chose. Bizarrement, les vestales de l’État de droit ne s’insurgent pas contre cette pratique digne d’une dictature. Si on écoutait les conversations entre un journaliste et un lanceur d’alerte, ce serait l’émeute.
Surtout, ce qui est reproché à Sarko, c’est d’avoir envisagé de pistonner un magistrat contre des infos. Sauf que le magistrat n’a pas donné d’information et qu’il n’a pas eu de piston, d’ailleurs, il n’a même pas brigué le poste. Autrement dit, il n’y a pas eu l’ombre d’un commencement d’exécution du prétendu pacte de corruption. Nicolas Sarkozy est condamné pour une intention supposée, exprimée dans une discussion privée. Et pourquoi pas pour une pensée ? Si je déclare sur CNews qu’avec mes copains de Causeur, on s’apprête à cambrioler la Banque de France, serai-je condamnée ?
Tous les jours, des délinquants qui agressent, volent, menacent, insultent leurs contemporains sortent libres de nos tribunaux. Le jeune homme qui avait menacé publiquement le proviseur du lycée Ravel a été condamné à une amende qui ne sera pas inscrite à son casier pour ne pas pénaliser sa carrière. Et un ancien président de la République se voit privé de sa liberté de circuler ? Quand la Justice, incapable de pacifier la société, ce qui est pourtant sa mission, se mêle de la moraliser, voire de la purifier, ça ne s’appelle pas l’État de droit, mais le gouvernement des juges. Et ça fait peur. Il paraît que la Justice est rendue au nom du peuple français. Je refuse d’être comptable de décisions iniques. Not in my name !
L’article J’ai peur de la Justice de mon pays est apparu en premier sur Causeur.