Le Chemin des Romains, c’est le nom donné à une portion de l’ancien chemin reliant Spa et la source de la Sauvenière. La partie la plus pentue de cette portion de chemin se trouve dans un bois de hêtres, elle longe et surplombe la promenade d’Orléans. Le débardage d’une coupe de bois et les pluies exceptionnelles du 1er juin 2018 ont remis en valeur, sur une trentaine de mètres, son empierrement caractéristique à qui il doit son nom par erreur.
En effet, la tradition orale a souvent transformé des chemins anciens en chaussées romaines. Les larges dalles irrégulières de quartz, placées les unes à côté des autres, sans ordre et sans soin, qui forment l’assise du chemin, ont pu faire croire assez longtemps à une voie aménagée à l’époque romaine. Il n’en n’est rien, mais son origine est néanmoins très ancienne et ce chemin, qui passe non loin du monument d’Orléans, a gardé au fil du temps le nom de Chemin des Romains.
Dans l’Atlas des voiries vicinales de 1841, le Chemin des Romains est dénommé Chemin n°19. Au début du 20e siècle, quelques personnes se sont imaginées un jour de dépaver cette ancienne voie pour employer les pierres au rechargement des routes si bien qu’à un certain endroit le pavage rustique a disparu. Heureusement, la société Spa-Attractions fit arrêter cet acte malveillant.
Durant l’Ancien Régime, la sortie de Spa en direction de Malmedy se faisait par la rue d’Amontville (actuellement rue Schaltin), la rue Xhrouet en passant devant l’église (avant 1878, la rue de la Sauvenière commençait devant l’église), la rue de la Sauvenière jusqu’à l’ancien viaduc de chemin de fer. Ensuite, l’ancien chemin longeait la rue Chelui, puis au bout de celle-ci recoupait la route de la Sauvenière actuelle et poursuivait vers la source du même nom en passant par le Chemin des Romains qui, dans sa partie basse, est plus ou moins parallèle au chemin de Sous bois (voir carte ci-avant). Au-delà de la fontaine, le chemin gagnait le plateau de Malchamps, puis ralliait Francorchamps et rejoignait Malmedy en passant par Bernister.
La décision de construire la route de la Sauvenière dans son tracé actuel date de la mi-décembre 1778. Le tronçon de Spa à la Sauvenière fut réalisé dans la foulée. La partie proche de la cité thermale figure déjà sur le plan de Spa dressé en octobre 1780 par Charles Le Comte (géographe, géomètre et arpenteur liégeois).
En mars 1779, des ormes furent plantés jusqu’au Salon Levoz. Cet établissement était la 3e maison de jeux de la cité bobeline après la Redoute (le Casino) et le Waux-Hall. Il fut construit à la fin du 18e siècle, le long de la route de la Sauvenière, et démoli vers 1905.
En 1899, le Spadois Jean d’Ardenne (de son vrai nom Léon Dommartin) décrivit le Salon Levoz : « … énorme bloc de maçonnerie, sans caractère architectural, mais qui renferme une très belle salle, plus vaste et d’une construction plus hardie que les autres (La Redoute et le Waux-Hall) … ». Cet établissement fut à la base d’un conflit d’exploitation avec le Prince-Evêque de Liège ; ce différent trainera plusieurs années et sera une des causes de la Révolution liégeoise en août 1789.
Sur son emplacement fut bâtie en 1908-1909, la Villa Levooz, villa du bourgmestre spadois, le baron Joseph de Crawhez. De nos jours, cette villa a fait place à un immeuble à appartements.
La construction de la route de Spa à la Sauvenière en 1779 et de son prolongement en 1788 jusqu’à la limite de la commune (Malchamps) étant fort onéreux pour celle-ci (80.000 francs), l’octroi d’une « barrière » à la Sauvenière fut accordé par le Prince–Evêque de Liège à la communauté spadoise le 21 janvier 1779 afin de lui donner des recettes supplémentaires (voir article intitulé : La barrière de péage de la Sauvenière).
La route de la Sauvenière, une route qui n’aurait pas du être construite !
L’historien spadois Albin Body (1836-1916), citant le peintre naturaliste Jean-Louis Wolff (1756-1838) auteur de plusieurs brochures sur les environs de Spa, montre que cette route était critiquée dès son projet de construction.
– Il était urgent et nécessaire de faire un bon chemin pour aller à la fontaine de la Sauvenière, mais il ne l’était point d’outrepasser cette fontaine, et surtout aux frais de la Commune, Spa n’ayant aucune relation commerciale avec Stavelot et Malmedy.
– C’était à la vérité, le grand intérêt de ces deux villes pour le transport de leurs cuirs et de leurs écorces ; des raisons bien puissantes auraient dû au contraire éloigner toute idée de faire passer par Spa une grande route, d’abord à cause de bruit des rouliers, du claquement de leurs fouets, à 2 et 3 heures du matin, ce qui éveille les étrangers ; Spa d’ailleurs était le dépôt des grosses charrettes qui, vu la difficulté des mauvais chemins, devaient y être déchargées pour y être rechargées sur de plus petites, ne partant qu’assez tard, et étant forcées de prendre encore beaucoup de chevaux d’attelage pour traverser les fagnes, tout cela rapportait des bénéfices certains aux louageurs de chevaux.
– D’un autre côté, pourquoi placer cette nouvelle route entre les deux anciennes, la grande et la petite voie qui conduisaient à cette frontière ? Pourquoi ne pas suivre l’une ou l’autre ?
– Ainsi, on aurait évité d’entamer les bons biens des particuliers. Il fut reconnu que la seule et unique direction pour aller à la Sauvenière, et même pour continuer au-delà était celle qui partait de Spa en suivant le chemin qui traverse le hameau de Préfaihay. Outre qu’elle aurait rendu florissant ce hameau, elle aurait passé près des deux fontaines minérales le Tonnelet, le Watroz ; et située à mi-côte, elle aurait été à l’abri des mauvais vents. Elle fournissait une jolie promenade en pente douce de Spa au Tonnelet.
– Déjà les piquets y étaient mis, et les alignements tracés, lorsqu’on insinua aux sociétaires de la Redoute (qui étaient aussi nos magistrats) que la route en passant si près du Tonnelet, il se pourrait que les deux médecins Maillard et Vivegnis donnent à jouer et à danser dans les bâtiments des bains qu’ils venaient de faire construire à cette fontaine. Aussitôt le plan de cette nouvelle route fut abandonné et on se hâta de tracer celle que nous voyons aujourd’hui. Elle a coûté plus du double que celle projetée, passant par le hameau de Préfaihay.
Selon Wolff, en engageant des dépenses énormes pour la construction de la nouvelle route de la Sauvenière, les actionnaires de la Redoute espéraient que la Commune (dont ils étaient pourtant les responsables) ne puisse pas reprendre le bail de la Redoute ; un bail de 40 ans dont la Commune s’était réservé le droit. Ce qui malheureusement se vérifia et les actionnaires purent ainsi récolter à leurs bénéfices les énormes gains des jeux.
Jean Lecampinaire
Sources : Guide des promenades – Spa Attractions – 1926 / Spa, histoire et bibliographie – Albin Body – 1892 / Croix Chapelles Oratoires de la région de Spa – Comité culturel Spa – 1992 / La petite histoire du village de Nivezé – André Hans – 2011 / Le monument duchesse d’Orléans – Pol Jehin – Réalités – 1999 / Architecture thermale, les résidences et villas de Spa – Louis Pironet – H.A.S. – 1981 / La voirie ancienne de la région de Spa – Maurice Ramaekers – H.A.S. – 1984 / Toponymie de Spa – Jules Antoine – 1971 / Accident rue de la Sauvenière – Pol Jehin – Réalités – 2013