C’est un procès qui pourrait établir un précédent hors-norme dans la gestion du monopole exercé par une poignée de géants de la tech. Menacé de démantèlement au cours d’un procès historique pour pratiques anticoncurrentielles, Google a soumis, vendredi 20 novembre, à la justice américaine, des propositions pour éviter d’avoir à se séparer de son moteur de recherche Chrome, comme le réclame le gouvernement.
Dans un jugement historique rendu en août dernier, le juge Amit P. Mehta du tribunal de Columbia, dans l’Etat de Washington, avait conclu que Google avait illégalement maintenu un monopole injuste sur la recherche en ligne, en payant des entreprises comme Apple, Samsung et Mozilla pour que son moteur de recherche apparaisse automatiquement lorsque les utilisateurs ouvrent une page Internet sur leur téléphone ou leur ordinateur. En 2021, Google a déboursé un total de 26,3 milliards de dollars dans le cadre de ces accords. En réponse à cette infraction, la mesure corrective s’est avérée sévère : le juge a ordonné au géant du numérique de vendre Chrome, le navigateur le plus populaire du monde.
Une punition inédite, qui pourrait aussi remodeler entièrement l’activité de Google (et peut-être même l’économie numérique dans son ensemble), l’entreprise étant tellement associée à la recherche en ligne que son nom en est devenu un verbe synonyme. L’année dernière, la moitié des revenus de Google, soit 175 milliards de dollars, ont été générés par la recherche et les activités connexes. Le géant ne compte donc pas se laisser faire.
Pour éviter le déchirement, le groupe a donc formulé lui-même des propositions alternatives. Dans un document de 12 pages, il propose d’assouplir les accords signés avec les fabricants de smartphones prévoyant que Chrome soit le navigateur par défaut sur leurs appareils. Mais hors de question d’abandonner sa place de choix : pour pouvoir continuer à payer les entreprises en échange de la favorisation de Chrome, Google propose par exemple qu’Apple puisse choisir d’autres moteurs pour l’iPhone et l’iPad. Android pourrait par ailleurs inclure des moteurs alternatifs, sans obliger l’installation de l’application de recherche Google ou de son assistant IA, Gemini.
L’entreprise propose aussi que les fabricants de navigateurs comme Apple et Mozilla puissent changer leur moteur de recherche par défaut au moins tous les 12 mois. "Nous ne proposons pas ces changements à la légère, a promis la vice-présidente des affaires réglementaires, Lee-Anne Muholland, dans un article de blog. Nous pensons qu’ils répondent pleinement aux conclusions du tribunal, sans mettre en danger la confidentialité et la sécurité des Américains ni nuire à la position de leader technologique des États-Unis."
Au-delà de la vente de Chrome, le gouvernement a demandé la vente potentielle d’Android et l’interdiction pour Google de conclure des accords payants pour être le moteur de recherche par défaut sur les appareils. Il exige aussi que le géant partage ses données et résultats avec ses concurrents pendant dix ans, ou encore qu’il se sépare de tout produit d’intelligence artificielle qui pourrait concurrencer la recherche, afin d’empêcher l’entreprise de dominer cette technologie émergente.
En plus d’être bien plus souples, les mesures proposées par Google ne s’appliqueraient à lui-même que durant une période de trois ans. Le gouvernement lui, propose d’imposer des mesures restrictives à l’entreprise durant une décennie complète, pour rétablir l’équilibre et laisser aux autres entreprises le temps de le rattraper après cette longue période de monopole. Une demande du gouvernement qui, selon Google, "dépasse la conduite anticoncurrentielle constatée lors du procès". L’entreprise a cité une opinion de 1955 d’un tribunal fédéral affirmant que, même lorsqu’une entreprise était reconnue coupable d’avoir enfreint les lois antitrust, un tribunal n’avait pas "le droit de s’engager dans un programme général de contrôle complet des activités des défendeurs".
Peu importe sa décision finale concernant la cession forcée ou non de Chrome, il est très probable que Google fasse appel. "Rien dans ce jugement final ne devra interdire à Google d’accorder une rétribution à un fabricant d’appareils mobile ou à un opérateur, concernant tout produit ou service de Google", écrit le géant du numérique dans sa proposition. La suite pourrait aussi dépendre de Donald Trump, qui reviendra en janvier à la Maison-Blanche et aura le pouvoir de remplacer l’équipe du ministère de la Justice en charge du dossier.
Les efforts de Google pour repousser les demandes ambitieuses du gouvernement — les mesures correctives les plus significatives demandées dans une affaire de monopole technologique depuis que le ministère de la Justice a demandé de démanteler Microsoft en 2000 — pourraient établir un précédent pour une série d’autres affaires contestant la domination des géants de la tech.
Le ministère de la Justice a également poursuivi Apple, affirmant que l’entreprise rendait difficile pour les consommateurs de quitter son écosystème fermé de dispositifs et de logiciels. L’année prochaine, la Federal Trade Commission devrait aller en procès contre Meta, accusée d’avoir étouffé la concurrence en achetant Instagram et WhatsApp. L’agence a également intenté un procès contre Amazon, l’accusant de protéger illégalement un monopole dans le commerce de détail en ligne, et enquête sur la puissance de Microsoft dans l’informatique du Cloud et l’intelligence artificielle.