L’essor des géants chinois du e-commerce, tels que Shein, Temu et AliExpress suscite une inquiétude croissante en Europe. Les mesures envisagées par l’exécutif européen pour y remédier soulèvent cependant des résistances et révèlent les failles d’un système douanier déjà sous pression. Revue de détail dans cet article proposé par notre nouveau partenaire éditorial La newsletter BLOCS.
Shein, Temu, Aliexpress … L’inquiétude n’en finit pas de monter en Europe face au succès foudroyant de l’e-commerce chinois. Sur le Vieux continent, ces plateformes en plein essor vendent par millions des produits de grande consommation de toute sorte (vêtements, cosmétiques, ustensiles de cuisine, appareils high-tech, jouets, etc) à des prix défiant toute concurrence. Et, le plus souvent, sans respecter les normes européennes en matière de sécurité et de qualité. Ce serait le cas de 70 % des marchandises importées de l’étranger via des plateformes de commerce en ligne, selon les estimations de la Commission européenne.
En 2023, le nombre de produits dangereux signalés par les douanes a doublé, les premiers concernés étant les jouets, les produits cosmétiques, les appareils électriques et les vêtements.
Entre la propension des géants chinois à faire fi des normes, leurs « pratiques marketing agressives », ou les généreuses aides d’État dont ils bénéficient, Shein, Temu et consort incarnent une « concurrence déloyale » pour les entreprises européennes du commerce en ligne, ne cesse d’alerter Eurocommerce, l’association représentant les intérêts du commerce de détail et de gros en Europe.
Ainsi, les 500 plus grands acteurs du commerce européens (tels qu’Ikea, H&M, Zalando, Décathlon …) ont vu leurs ventes transfrontalières chuter de 18 % rien qu’en 2023, sans parler des conséquences sur les commerçants locaux.
Des États-Unis, qui croulent sous le même raz-de-marée, à l’Asie du Sud-Est, une série de pays ont commencé à sévir à l’encontre du e-commerce chinois. Mais que fait l’Europe ? Fin septembre, dix États membres de l’Union, dont la France et l’Allemagne, avaient appelé dans une lettre la Commission européenne à adopter une ligne dure face aux « risques de préjudices pour les consommateurs et de concurrence déloyale ».
La réponse la plus évidente est en fait déjà dans les tuyaux : il s’agirait de supprimer l’exemption de frais de douane pour les colis de moins de 150 euros, qui implique aussi que la plupart de ces produits sont exonérés de contrôle aux frontières. Une telle mesure, vers laquelle s’oriente aussi Washington, a été mise sur la table par l’exécutif de l’UE dès mai 2023 au sein de sa grande proposition de réforme des douanes européennes.
Ce changement paraît d’autant plus nécessaire qu’« environ 65 % des colis entrant dans l’UE seraient délibérément sous-évalués dans leur déclaration de douane afin de bénéficier de cette exonération », expliquait alors la Commission. Et ce, « au détriment des entreprises de l’UE, en particulier des PME, qui ont du mal à tenir la concurrence face à des prix de vente ainsi réduits ».
Salutaire sur le papier, cette mesure pose en pratique une série de problèmes. Proposée au nom de la juste concurrence, elle suscite des résistances parmi ces mêmes acteurs qu’elle est censée protéger. Car les nouveaux droits de douanes viseraient aussi les revendeurs européens important leurs produits de l’étranger.
En outre, supprimer cette exemption aurait toutes les chances de surcharger des services de douanes déjà débordés. L’aéroport Schiphol d’Amsterdam et le port de Rotterdam traitent ensemble 3,5 millions de colis par jour, soit 40 par seconde. Or, l’année dernière, ce sont 2,3 milliards d’articles en dessous du seuil de franchise de 150 euros qui ont été importés dans l’UE, selon la Commission.
Dans son projet législatif, la Commission avait proposé une « méthode simplifiée » pour calculer les droits de douane en fonction des types de produits (jouets, vêtements, accessoires, etc.). Il n’empêche qu’effectuer autant de contrôles ressemblerait à une tâche herculéenne. Et le projet de centralisation des données douanières pour cibler les produits suspects, qui pourrait être soutenu par l’IA, ne semble pas près de voir le jour.
L’UE est-elle dès lors en train de faire machine arrière ? « Nos propositions sont en cours de négociation au Conseil de l’UE [l’institution réunissant les Etats membres] », esquive-t-on au sein de la Commission.
Signe que l’idée n’est pas si consensuelle parmi les Vingt-Sept, l’exécutif de l’UE a commencé à plancher sur des alternatives. Deux mesures seraient ainsi à l’étude, selon le Financial Times : l’introduction de frais administratifs additionnels sur la manutention des marchandises en question, et une nouvelle taxe sur les revenus des entreprises du e-commerce.
Ces deux pistes présentent toutefois aussi leur lot d’obstacles. Les frais administratifs pourraient être jugés contraires aux règles de l’OMC, comme le soulève Eurocommerce, tandis que la taxe sur les revenus nécessiterait un accord unanime des États membres de l’UE, ce qui semble difficile à obtenir.
En l’absence de solution miracle, la parade la plus prometteuse pour l’UE semble être de s’attaquer aux plateformes chinoises via la régulation européenne sur les services numériques, le fameux DSA (pour Digital Services Act). La Commission a d’ailleurs déjà déclenché, le 31 octobre, une enquête contre Temu, dont les pratiques commerciales sont « fortement suspectées » d’être en violation dudit règlement.
Ce dernier requiert notamment des grandes plateformes en ligne de mettre en place un système pour garantir aux consommateurs que les produits vendus respectent les normes. Ce qui n’est de toute évidence pas le cas de l’entreprise chinoise qui, si elle ne corrigeait pas le tir, s’exposerait à une amende massive – équivalente au maximum à 6 % de son chiffre d’affaires mondial.
Les caractéristiques « addictives » du site et de l’application, très ludiques, sont aussi susceptibles de contrevenir au DSA. Tout comme l’algorithme de recommandation des produits reposant sur un traçage des utilisateurs auquel il est impossible d’échapper.
Shein, déjà sous surveillance, pourrait bien être le prochain sur la liste. Parmi les autres pratiques proscrites par le DSA : l’affichage d’avis trompeurs sur les produits vendus, les fausses annonces de réductions de prix, la grande difficulté rencontrée à clôturer les comptes …
Reste que les éventuelles amendes que décidera Bruxelles ne seront pas exemptes de considérations politiques à la table des Vingt-Sept, à l’instar des droits de douanes mis en place depuis l’été sur les voitures électriques chinois. Les Européens sont-ils prêts à ouvrir un nouveau front dans la guerre commerciale qui les oppose déjà à Pékin ?
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