Lorsqu’il succède à son père en juillet 2000, Bachar el-Assad se positionne avant tout comme un réformateur. D’abord, il modernise l’économie de son pays - le PIB syrien sera multiplié par trois en dix ans - et il laisse brièvement quelques marges de manœuvre à ses opposants qui se réunissent et s’organisent. Un vent de liberté souffle (presque) sur la Syrie : on le surnomme "le Printemps de Damas". Mais moins d’un an après son accession au pouvoir, Bachar el-Assad réprime durement les oppositions et commence à s’imposer comme un tyran ; on l’appellera bientôt "le boucher de Damas". Il aura fallu atteindre vingt-cinq ans pour qu’une offensive rebelle le contraigne à la fuite vers la Russie.
Avant lui, des millions de Syriens ont eux aussi dû s’enfuir de chez eux. A partir de 2011, les premiers à partir veulent échapper à la guerre civile qui oppose le régime d’Assad à divers groupes rebelles ou séparatistes. Les suivants ont subi de plein fouet l’effondrement du système économique local et sont parfois partis chercher de meilleures opportunités ailleurs. Résultat : on compte aujourd’hui 6,5 millions de Syriens réfugiés à l’étranger et plus de 7 millions ont le statut de "déplacés" à l’intérieur même des frontières du pays. Depuis 2015, leur nombre total n’est jamais repassé sous la barre des 12 millions.
Rien d’étonnant donc à ce que les scènes de liesse se soient multipliées, à Damas comme à l’étranger, lorsque Bachar el-Assad a quitté le pouvoir ce dimanche 8 décembre. Parmi les 6,5 millions de réfugiés, la moitié s’est abritée en Turquie voisine. Les autres ont fui pour la plupart vers d’autres pays du Moyen-Orient ou vers l’Europe.
Pour ceux qui restent en Syrie, la situation est déplorable. En 2024, l'ONU estime à 16,7 millions le nombre de personnes nécessitant une aide humanitaire urgente. C’est 1,4 million de plus qu’en 2023, et cela représente à peu près les deux tiers de la population totale du pays. Depuis 2015, la part de Syriens ayant besoin de soutien a ainsi augmenté de 52,45 à 67,69 %.
D’après un rapport de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, l’offensive rebelle aurait elle aussi provoqué de nouveaux mouvements de population. A court terme, ces nouveaux déplacés pourraient venir grossir les rangs des Syriens en détresse humanitaire. Des mouvements de population sont également à attendre du côté des partisans du régime Assad qui pourraient chercher à s’échapper, eux aussi.
Les effets bénéfiques de la modernisation économique lancée au début des années 2000 n’ont été que de courte durée. Dès le début de la guerre civile en 2011, le PIB syrien s’est effondré et les échanges internationaux ont été réduits à peau de chagrin. En cause : deux trains de sanctions qui ont privé le pays d’une partie importante de ses revenus. Le second a été mis en œuvre en 2019, sous l’impulsion de Donald Trump, pour contraindre le régime d’el-Assad à rendre des comptes à la suite de la publication d’un rapport sur la torture d’opposants dans les geôles du pays.
Aujourd’hui, la Syrie n’est donc plus en mesure d’exporter autant qu’à la fin des années 2000. Le montant total de ses exportations en 2022 s’élevait ainsi à moins d’un milliard de dollars, issus essentiellement de la culture maraîchère. Côté importations, la Syrie est cruellement dépendante de la Turquie voisine (45 % de ses imports viennent d’Istanbul), ainsi que de la Chine et des Emirats Arabes Unis (environ 10 % chacun). Après quinze ans de guerre, son tissu productif est anéanti.
Le résultat s’en ressent directement sur son produit intérieur brut qui atteint le même niveau qu’en 1978, au début du gouvernement d’Hafez el-Assad, le père et prédécesseur de Bachar. Les espoirs de libéralisation et de réforme du début des années 2000 ont vécu.