Le président argentin Javier Milei, un an après son élection, suscite moins de mépris qu’il y a douze mois, et plus de considération, comme en témoigne la couverture récente de The Economist où il est en vedette. Même dans la presse française, il n’est plus systématiquement traité de fasciste néolibéral. Cela tombe bien car il ne l’est pas.
Dans le long et passionnant entretien qu’il vient de donner au podcaster américain Lex Fridman, ce professeur d’économie détaille son itinéraire intellectuel, en grande partie fondé sur les économistes de "l’école autrichienne", dont des auteurs quasi inconnus en France comme Carl Menger, Ludwig von Mises ou Murray Rothbard. On peut, comme l’auteur de ces lignes, s’être éloigné de cette école de pensée après l’avoir excessivement révérée, mais ce serait une erreur majeure que de tirer un trait dessus en raison de sa radicalité, surtout dans le contexte argentin, magnifique pays ruiné par l’interventionnisme étatique.
Jusqu’à la Première Guerre mondiale, l’Argentine était l’un des pays les plus prospères au monde. Le niveau de vie y était supérieur à celui de la France et proche de celui de l’Angleterre. Son agriculture, notamment son élevage, était si florissante que des immigrés du monde entier tentaient de gagner le pays pour y faire fortune. C’est cette époque bénie qui a vu naître la ville bourgeoise de Buenos Aires, vestige aujourd’hui d’une grandeur passée. Tout a changé en 1946 quand, après une série de coups d’Etat militaires, Peron a accédé au pouvoir. Son mélange de dirigisme, de corporatisme et de protectionnisme, a entraîné un déclin que ses trop nombreux successeurs populistes ont fait perdurer. Après le centre mou de Mauricio Macri, il n’est pas illogique qu’une majorité d’Argentins, fatigués de l’inflation et du délabrement, se soient tournés vers la médication forte – et le style outrancier – du Pr Milei.
Sa politique repose sur deux idées simples, radicales et justes. La première, c’est que l’inflation est un fléau qui détruit non seulement l’économie mais aussi, comme l’avait montré Stefan Zweig dans ses Mémoires, les relations de confiance entre les membres d’une même société. Or, comme l’ont établi les économistes autrichiens, c’est la planche à billets utilisée pour financer les déficits budgétaires qui fait naître l’inflation. Remettre de l’ordre dans la société impose donc de réduire ces déficits, ce qui implique, si l’on ne peut pas frapper fiscalement le pays, de diminuer la dépense publique. Deuxième idée de Milei : la liberté économique est le meilleur outil pour fabriquer de la prospérité. Le président argentin veut donc simplifier les lois, supprimer les monopoles et déréglementer jusqu’au point où l’Argentine sera économiquement aussi libre que Singapour ou la Suisse. L’objectif et le chemin sont clairs.
Pour quels résultats ? En un an, la dépense publique a baissé de 15 %, l’Etat argentin est en excédent budgétaire et l’inflation semble terrassée. Javier Milei reste populaire car les Argentins lui savent gré de combattre ce mal inflationniste. De fait, une telle thérapie de choc n’est pas sans effets secondaires. La croissance s’est effondrée, le taux de chômage est passé de 6,1 % en 2023 à 8,2 % en 2024 et surtout, le taux de pauvreté à 50 % - la part des gens qui vivent avec moins de 50 % du revenu médian – a bondi de 42 % il y a un an à 53 % à la mi-2024. Cela n’est guère étonnant. Combattre l’inflation peut difficilement se faire sans sacrifier quelques mois d’activité. Le pari de Javier Milei, crédible, c’est que l’assainissement ainsi réalisé va remettre l’Argentine sur les rails de la prospérité.
Le plus compliqué pour lui sera de réduire la taille de l’Etat, non pas pour l’affaiblir mais pour le rendre plus efficace et le mettre au service de l’intérêt général. Moins de fonctionnaires, mais les meilleurs. Clairement, cette politique et ses fruits sont à suivre de près. Parce que le moment que vit l’Argentine, après des décennies de populisme, est fascinant. Peut-être aussi parce que la France, sans avoir traversé de telles affres inflationnistes, aura peut-être à connaître aussi son "moment Milei" dans quelques années.