A l’intersection entre savoir-faire horloger traditionnel et technologies modernes, la réalisation d’un cadran requiert plusieurs dizaines d’opérations dont la finalité est de décorer ce disque de métal, voire de le transfigurer en une œuvre d’art miniature. Le métier de cadranier, auquel font appel les manufactures, suppose de maîtriser de multiples techniques : la mécanique, bien sûr, mais aussi la galvanoplastie (utilisation de l’électrodéposition pour recouvrir un objet d’une fine couche de métal), le sertissage (pour fixer des pierres précieuses) ou l’émaillage.
Rolex, par exemple, recourt à une large palette de finitions plus ou moins traditionnelles. Pour un cadran soleillé, deux brosses réalisent un balayage et créent d’infimes stries qui courent du centre vers l’extérieur de la surface. La finition satinée, effectuée par sablage, permet d’obtenir une surface uniformément mate. Des décors horlogers peuvent être effectués par guillochage mécanique (gravure en creux par enlèvement de matière) ou par émaillage grand feu, selon la technique du champlevé, qui consiste à retirer un peu de métal pour y incruster de l’émail. D’autres méthodes utilisent le laser. Quant à la coloration des cadrans, elle est obtenue grâce à trois techniques : le laquage pour les couleurs intenses, la galvanoplastie adaptée aux teintes métalliques et le traitement PVD, ou dépôt physique en phase vapeur. Cette technologie consiste à modifier les propriétés moléculaires de la surface d’un métal en déposant de fines couches de matériaux. Un revêtement qui laisse libre cours à l’expression de nombreuses nuances colorées.
Les limites de la créativité sont repoussées lorsque la science se conjugue à des éléments naturels. La DB28xs Aérolite (De Bethune) arbore un cadran présentant un guillochage aléatoire inédit qui évoque la surface ondulée d’une mer étoilée. Cette pièce horlogère est inspirée par le concept japonais du wabi-sabi, qui célèbre la beauté dans l’imperfection. Le bleu profond du cadran, obtenu par oxydation thermique, est constellé de délicats éclats d’or gris. L’ensemble contraste avec les lignes géométriques d’un morceau de la météorite Muonionalusta, l’une des plus anciennes connues sur Terre.
Influencée aussi par la nature, la jeune marque ID Genève a dévoilé en septembre sa deuxième collection Elements, qui se distingue par cinq cadrans s’inscrivant aux frontières du design sensoriel. Plusieurs couches de décalques sont appliquées sur ces cadrans qui jouent avec les contrastes, s’inspirent des bleus des ailes du papillon Morpho, d’élytres de scarabées, de reflets nacrés de coquillages ou du plumage chatoyant de certains oiseaux pour créer des effets visuels.
Le cadran de la BRX5 iridescente de Bell & Ross est réalisé en plusieurs fines couches de PVD, les unes sur les autres, avec des différences de pulvérisation.
L’iridescence est la propriété de certaines surfaces qui semblent changer de teinte selon l’angle de vue ou d’illumination. Ces couleurs ne sont pas dues à des pigments mais à des phénomènes optiques, visibles sur une bulle de savon ou sur les ailes d’un coléoptère. En traversant l’empilement complexe des microstructures créées par les différentes couches de PVD, les rayons lumineux s’interfèrent. Les tonalités que l’on observe alors vont du vert au bleu et jusqu’au violet, en passant même par l’orange lorsque la pièce est inclinée. Bell & Ross a appliqué ce revêtement PVD sur une surface soleillée pour ajouter encore plus de mouvement à cet effet structurel.
La quête d’iridescence a aussi présidé à la collaboration entre l’artiste argentin Felipe Pantone et la manufacture Zenith. Dans le cas de la Defy Skyline Tourbillon, une micro-gravure de cercles concentriques sur un disque en saphir reproduit l’effet moiré omniprésent dans l’œuvre de Pantone. Au verso du cadran a été appliquée une couche métallique réfléchissante qui, combinée à la micro-gravure, produit un jeu de couleurs saisissant, à la manière d’un CD.
Le modèle Biver Time for Art a également été conçu en association avec un artiste. La pièce unique réalisée sera proposée aux enchères le 7 décembre à New York dans le cadre de la vente caritative TimeForArt. Inspirée des peintures de Guillaume Ehinger, la plaque en or blanc du cadran est gravée à la main d’un motif ondulant avant d’être recouverte de plusieurs couches d’émail coloré. La surface chatoyante ainsi obtenue, aux tons rouges et roses, évoque l’apparence d’un lac au coucher du soleil.
Imaginée comme une déclinaison d’œuvres d’art, la nouvelle collection Awake s’aventure sur un terrain que la jeune marque française n’avait jusque-là jamais exploré. Son fondateur, Lilian Thibault, a choisi de combiner de manière inédite en horlogerie deux métiers d’art qu’il a découverts lors d’un voyage au Vietnam : le Son Mai - laque poncée vietnamienne - et la dorure à la feuille d’argent.
L’art ancestral du Son Mai consiste à superposer et polir des couches de laque naturelle pour obtenir une surface lustrée. La tradition veut que les artisans incorporent d’autres matériaux tels que des coquilles d’œuf écrasées, des feuilles d’or ou de la nacre pour ajouter de la texture et de la profondeur. Awake a opté pour l’intégration de feuilles d’argent pur : une méthode complexe et délicate pour un effet visuel saisissant. Ce à quoi s’ajoute une signature lumineuse à la nuit tombée : les index et les aiguilles sont enveloppés de Super-LumiNova® et créent un jeu de clair-obscur. Leur design génère des effets de rétroéclairage pour magnifier la profondeur et les reflets de la laque. Au total, chaque cadran aura nécessité entre dix et quinze heures de travail manuel, tandis que le processus complet peut durer plusieurs semaines.
Autre inspiration asiatique chez Citizen, cette fois du côté du pays du Soleil-Levant, où est née la marque. Après avoir célébré le 100e anniversaire de sa première montre – notamment à Paris où a été présentée une rétrospective des innovations de l’entreprise japonaise –, est dévoilée une édition limitée de modèles The Citizen, la collection haut de gamme. Sur le cadran, un papier washi teint à l’indigo. Egalement connu sous le nom de "bleu japonais", l’indigo est l’un des colorants naturels d’origine végétale les plus anciens dans l’art de la teinture. Le cadran est obtenu grâce à une technique décorative japonaise traditionnelle appelée "shibori", qui consiste à plier, tordre et lier des tissus avant de les teindre, créant ainsi des motifs variés et uniques.
Pour les pièces de haute horlogerie, les maisons s’appuient régulièrement sur les métiers d’art dans toute leur diversité. Ainsi, le modèle que Chopard dédie à la vente caritative TimeForArt bénéficie d’une marqueterie de paille. Il a été réalisé par un artisan décorateur de la manufacture spécialement formé à cette technique du XVIIe siècle. Tandis que la référence Arceau Robe légère signée Hermès met en lumière l’émail paillonné, qui consiste à insérer des paillons d’argent entre les couches et reliefs. La base émaillée, de couleur sombre, est d’abord appliquée au pinceau. Y sont ensuite posés les motifs, façonnés dans une feuille d’argent. Ces minuscules paillons sont enfin figés au gré de cuissons successives.
De son côté, Vacheron Constantin rend hommage à la culture chinoise via quatre éditions limitées Métiers d’Art qui représentent une falaise baignée par les flots, symbole décoratif propre à la cour impériale des dynasties Ming et Qing. Sur un même cadran, sont associés émail grand feu, sertissage et gravure avec incrustations d’émail en champlevé. Autant d’opérations qui exigent de concilier expertise technique et sensibilité esthétique.