La filière de la bijouterie française doit sa notoriété aussi bien à l’excellence de sa haute joaillerie qu’à l’inventivité du segment fantaisie. Entre les deux, des maisons traditionnelles et une myriade de petits créateurs parviennent à tirer leur épingle du jeu. Le champ des possibles s’élargit ainsi à tous les styles de consommateurs. Les uns accumulent des parures iconiques de grandes marques, comme pour s’identifier à une appartenance sociale qui les rassure. Les autres préfèrent se distinguer en arborant une pièce au design singulier, généralement portée en dissymétrie, voire en solo. D’aucuns encore imaginent de nouvelles manières d’associer matières et formes. S’ils transgressent quelque peu les codes, leur posture conserve néanmoins un certain sens de la dérision. De fait, chacun contribue à redéfinir les standards de l’intemporel.
Elsa Vanier est une spécialiste du bijou contemporain, mis en lumière dans sa galerie ouverte en 2003 à Paris. Aujourd’hui commissaire d’exposition, elle continue de défendre les créateurs.
L'Express : Quelles périodes anciennes se voient réinterprétées dans la joaillerie moderne ?
Elsa Vanier : Les bijoux de certains grands joailliers, inspirés par la faune et la flore, se réfèrent à l’Art nouveau, quand René Lalique incorporait des couleurs et même des éléments comme la pâte de verre, ouvrant la porte à des matériaux moins précieux. Beaucoup s’appuient aussi sur le style Art déco – jamais daté – avec ses lignes géométriques.
Comment définir le goût français ?
D’une manière générale, nos compatriotes apparaissent plutôt traditionnels. Par exemple, ils n’imaginent l’or que jaune et poli, à la différence de traitements satinés ou mats en vogue chez nos voisins. D’autre part, nous observons un hiatus entre la haute joaillerie, toujours plus précieuse et flamboyante, et les accessoires portés dans la rue : une accumulation de petites pièces souvent sans grand caractère, serties de pierres minuscules.
Ces styles à la mode pourront-ils traverser les âges ?
Il est difficile d’estimer si une tendance pourra s’installer durablement. Ce n’est pas la préoccupation actuelle des jeunes générations. Elles s’interrogent davantage sur des notions éthiques : origine des gemmes, or recyclé comparé au minerai et à la pollution, choix d’un diamant de synthèse, consommateur d’énergie, ou d’un diamant naturel, nécessitant des moyens d’extraction colossaux.
Que penser des nouvelles technologies ?
L’impression 3D permet d’envisager des formes extraordinairement complexes, qu’il est néanmoins nécessaire de reprendre ensuite à l’établi. Le travail manuel a encore de beaux jours devant lui.
Les nouvelles représentations de la féminité et de la masculinité changent-elles la donne ?
La principale évolution est l’attrait des jeunes hommes de la génération Z pour les bagues et les bracelets, voire pour les ornements d’oreilles. Ils semblent plus à l’aise avec ces parures masculines que la génération de leurs parents. Leur sélection reste cependant sobre, on est loin des bagues excentriques de l’antiquaire Yves Gastou. Du côté des femmes, en dépit du mouvement #MeToo, et alors que beaucoup travaillent et achètent leurs propres bijoux, elles apprécient toujours qu’ils leur soient offerts. Y trouvent-elles une réassurance qu’on les aime ?