Mardi soir, l'ancienne star du cricket appelait depuis sa prison ses soutiens à converger plus nombreux encore vers le quartier gouvernemental de la capitale pakistanaise, D-Chowk, à l'issue d'une journée marquée par la mort de quatre paramilitaires, renversés selon les autorités par des manifestants à bord d'un véhicule.
Son parti, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), qui ne cesse de dénoncer la collusion entre le gouvernement de coalition formé sans lui et la toute puissante armée, disait vouloir aller au bout de "son dernier acte".
Les autorités, en retour, promettaient d'arrêter "quiconque arrivera à D-Chowk".
Mais, après 24 heures de bras de fer dans la rue, pour Michael Kugelman, chercheur au Wilson Center, "il n'y a pas de vainqueur".
En mettant à l'arrêt la capitale, ses écoles et internet, "l'armée et le gouvernement ont attisé la colère des gens contre eux", affirme-t-il.
"Le PTI, lui, a subi les foudres de l'Etat et a battu en retraite (...) sans rien changer", poursuit-il.
Et leur "affrontement grandissant ne fait que détourner l'attention des crises économiques et sécuritaires" dans un pays qui a connu ces dernières semaines des attaques jihadistes et séparatistes ayant tué des dizaines de soldats et policiers, des violences entre sunnites et chiites qui ont fait plus de 80 morts, et ne survit financièrement que sous perfusions internationales.
Pour la Commission pakistanaise des droits humains (HRCP), il est temps que "le gouvernement et l'opposition entament immédiatement un dialogue politique constructif".
"Ils ont fui"
Ils doivent "se mettre d'accord pour avancer pacifiquement plutôt que de jouer sur les sentiments de leurs militants pour mettre le pays à l'arrêt et, ce faisant, entamer la liberté de mouvement et surtout le gagne-pain des autres", poursuit la principale ONG de défense des libertés du pays.
Mercredi, des employés municipaux s'activaient à dégager cendres et débris des rues alors que des policiers anti-émeutes quittaient les environs de D-Chowk dans des bus.
La télévision d'Etat PTV, elle, rapporte que "la zone a été dégagée du mal et des anarchistes".
Pourtant mardi soir, Imran Khan, incarcéré depuis août 2023 et qui transmet ses instructions à ses lieutenants au parloir, appelait sur le réseau social X "ceux qui n'ont pas encore rejoint la manifestation" à "se rendre à D-Chowk".
Aux portes de D-Chowk, son épouse, tout juste sortie de prison Bushra Bibi, galvanisait la foule - environ 10.000 personnes, la plus importante dans la capitale depuis l'incarcération de M. Khan - avant de disparaître dans la nuit.
"Il n'y a qu'une seule femme derrière ce chaos", lançait depuis le quartier ultra-sécurisé où siègent le gouvernement, le Parlement et les plus hauts tribunaux du pays, le ministre de l'Intérieur Mohsin Naqvi, excédé.
Quelques heures plus tard, une rumeur se répandait sur les réseaux sociaux: Bushra Bibi et un autre proche de M. Khan, Ali Amin Gandapur, le chef du gouvernement de la province du Khyber-Pakhtunkhwa, d'où étaient partis les manifestants, auraient été arrêtés.
Aussitôt, M. Naqvi répondait: "ils ont fui".
Force "excessive"
Au matin, effectivement, Bushra Bibi et Ali Amin Gandapur avaient cessé leurs appels à la mobilisation tandis que des véhicules aux pare-brises détruits témoignaient en bordure des rues du centre d'Islamabad de la dispersion.
Toute la nuit, des tirs et des explosions de grenades lacrymogènes ont retenti dans toute la capitale, venant de zones privées d'éclairage public.
Au même moment, M. Naqvi annonçait que les écoles, fermées depuis lundi, rouvriraient "jeudi" et qu'internet serait rétabli le même jour.
Quelques heures plus tard, il félicitait ses troupes pour avoir "courageusement repoussé les manifestants" et ordonnait de "lever les barrages" et de "nettoyer" après avoir "inspecté les dégâts causés par les hors-la-loi".
Depuis dimanche - jour du départ des convois de manifestants depuis les provinces voisines d'Islamabad - les autorités ont déployé plus de 20.000 membres des forces de sécurité dans et autour de la capitale.
Les réseaux téléphonique et internet mobile ont été régulièrement coupés comme, fait inédit, la connexion wifi des maisons de certains quartiers.
Des centaines de containers barraient les rues silencieuses et désertées par des habitants résignés face aux rodomontades de Bushra Bibi, Ali Amin Gandapur et les militants du PTI qui juraient qu'ils ne "partiraient pas" avant la libération d'Imran Khan, emprisonné pour une centaine d'affaires.
Amnesty International a condamné un "usage illégal et excessif de la force" alors que, toute la journée de mardi, les forces de sécurité ont tiré des salves de grenades lacrymogènes et de balles en caoutchouc sur les manifestants qui répliquaient en renvoyant les grenades et en jetant pierres et bâtons.