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Tribune : Que faire face au protectionnisme de Trump ?

Lemoci 

Passé les questionnements sur les scénarios tarifaires possibles sous le second mandat de Trump, qui ne sera officiellement investi dans ses fonctions que le 20 janvier prochain, il n’est que temps de se préparer à la guerre commerciale qui s’annonce. C’est ce que préconise Alain Bentéjac, président fondateur du groupe Artelia, ancien président des CCEF et vice-président du Think Tank la Fabrique de l’exportation, dans cette tribune que nous publions avec leur aimable autorisation.

Il l’annoncé, il le fera. Dès qu’il sera installé dans le Bureau Ovale, le Président Trump, le « Tariff Man » autoproclamé, dévoilera, à grands renforts de communication, une série de mesures protectionnistes : augmentation générale des droits de douane, surtaxation des produits chinois, sortie éventuelle de l’Organisation mondiale du commerce sur le modèle de la sortie de l’Accord de Paris dès le début de son premier mandat, soutien massif et discriminatoire à l’industrie nationale, etc.

Le détail du plan n’est pas connu, et il n’est pas impossible que certaines mesures soient en fait surtout utilisées comme des menaces pour obtenir des concessions dans d’autres domaines, conformément à la diplomatie « transactionnelle » dont il se fait le héraut. Mais ne nous faisons aucune illusion. L’Amérique se lance résolument dans le protectionnisme, et même si l’ampleur du dispositif se révèle in fine plus limitée, il nous faut nous préparer à un scénario de guerre commerciale.

Les Etats-Unis sont devenus les fossoyeurs du multilatéralisme commercial

 

Certes, la tendance n’est pas nouvelle, et les Etats-Unis, sous Trump comme sous Biden, et même avant eux, ont déjà pris de nombreuses mesures de protection, tout en affichant un mépris croissant pour les règles multilatérales symbolisées par l’OMC : droits sur l’acier, contentieux Airbus-Boeing, Inflation Reduction Act, fixation à 100% des droits sur les véhicules électriques chinois, blocage du mécanisme de règlement des différends de l’OMC, etc…

Mais la future vague protectionniste américaine, par son ampleur probable comme par ses objectifs affichés, marque un changement d’époque. En prolongeant et amplifiant considérablement les tendances à l’œuvre depuis une dizaine d’années, en revendiquant un protectionnisme désinhibé, cette vague marque nettement la fin d’une ère, celle de la libéralisation progressive des échanges internationaux dans un cadre multilatéral, celui du GATT puis de l’OMC.

Les Etats-Unis qui ont été à l’initiative de ce mouvement, notamment en créant le GATT en 1947 puis en jouant un rôle actif dans les cycles successifs de négociations, sont devenus les fossoyeurs du multilatéralisme commercial.

Risques considérables pour le commerce mondial

 

Cette nouvelle donne est porteuse de risques considérables pour le commerce mondial, les pays du Sud qui pour certains ont grandement bénéficié de cette phase de mondialisation, pour la Chine bien évidemment, ainsi que pour l’Europe.

Il est clair en effet que le Président Trump ne va pas limiter son action aux importations chinoises. Si celles-ci sont certainement prioritaires dans son esprit, l’Europe ne va pas échapper à son courroux. Lors de son précédent mandat, il avait déjà pris des mesures contre certains produits européens, l’acier et l’aluminium en particulier, suspendues pour la plupart par l’administration Biden.

La détestation qu’il semble vouer au modèle institutionnel de l’Union européenne, et le déficit des échanges de biens des Etats-Unis vis-à-vis du Vieux Continent (151 milliards d’euros en 2022) vont le pousser à sanctionner nos produits. Même si ce n’était pas le cas, la taxe de 10 ou 20 % qu’il compte imposer à toutes les importations américaines va forcément impacter les échanges euro-américains.

Les conséquences macro-économiques de ces mesures font l’objet de premières estimations, forcément encore incertaines. Mais l’impact sera à n’en pas douter sévère pour l’économie européenne, au moment même ou celle-ci donne d’évidents signes de faiblesse. Les Etats-Unis sont le premier client de l’Europe et son premier excédent commercial, et ces mesures seront donc très pénalisantes pour nos entreprises exportatrices.

En plus de l’effet direct sur les exportations européennes vers le marché américain, il faut aussi tenir compte du risque d’afflux vers l’Europe de produits chinois bloqués à l’importation aux Etats-Unis. La fermeture du marché, couplée aux subventions et avantages fiscaux massifs aux industries américaines pourraient aussi pousser beaucoup d’entreprises internationales à investir prioritairement Outre-Atlantique.

Unité, négociation, recherche d’alliés

 

La question qui va se poser très vite aux dirigeants français et européens est bien sûr celle de l’attitude à adopter face à ce probable tsunami protectionniste. Des positions très différentes vont certainement s’exprimer, mais quelques pistes semblent devoir être explorées très rapidement.

La première est la nécessité de l’unité des Européens, dans ce domaine comme dans bien d’autres. La démarche « trumpienne » est faite de transactions et de rapports de force. Seule l’Union européenne dans son ensemble a le poids suffisant pour engager une négociation un tant soit peu équilibrée avec les Etats-Unis. C’est une évidence, mais il faudra la rappeler avec fermeté à tous les Etats-Membres, certains d’entre eux pouvant être tentés par la recherche d’arrangements bilatéraux.

Le risque n’est pas ici la Hongrie ou la Slovaquie, car leur poids économique est marginal, mais l’Allemagne et l’Italie. Il faudra s’assurer que toutes les négociations sont menées par les autorités européennes, en liaison étroite avec les principaux Etats-Membres.

Une fois cette démarche unitaire assurée, il faudra certainement tenter de négocier avec l’Administration Trump afin de limiter le plus possible l’impact de ces mesures. L’Europe devra montrer sa force en n’hésitant pas à agiter la menace de mesures de représailles sur les exportations américaines, et en mettant en lumière les effets très négatifs d’une guerre commerciale pour l’économie américaine elle-même.

Les entreprises européennes, allemandes et françaises notamment, sont des investisseurs importants aux Etats-Unis (360 milliards de dollars dans le cas de la France) et emploient de très nombreux travailleurs américains (741 000 employés américains de filiales françaises en 2021). L’Amérique est donc aussi exposée à des risques importants, et les guerres commerciales ne sont pas si faciles à gagner, contrairement à ce que déclarait Donald Trump… Il faudra également lui rappeler que le principal défi, pour les Etats-Unis comme pour l’Europe, est celui qui est posé par la Chine, et que nos divisions sont pain bénit pour eux.

Dans sa démarche, l’Europe devrait aussi pouvoir s’appuyer sur les autres puissances commerciales qui restent attachées au respect des règles multilatérales, et à une libéralisation maîtrisée du commerce mondial. Le Japon, la Corée du Sud, Taiwan, la plupart des pays de l’ASEAN sont des partenaires économiques importants, et qui partagent dans l’ensemble notre vision des échanges internationaux. Même nos amis britanniques, dont la stratégie post Brexit du « Global Britain » est fondée sur le libre-échange, pourraient envisager de nous rejoindre sur ce sujet, probablement après avoir tenté, sans succès, de négocier un accord commercial particulier avec les Etats-Unis…

Enfin, cette nouvelle situation va évidemment donner un éclairage différent à la négociation avec le Mercosur. Malgré les réticences politiques françaises, la pression pour conclure un accord avec ces pays va se faire encore plus forte…

Relever le défi en cas d’échec de l’approche « négociation »

 

Dans le cas, malheureusement probable, ou les négociations euro-américaines ne déboucheraient pas sur un accord satisfaisant, nous devrons nous organiser au niveau français et surtout européen pour relever le défi.

Les premières orientations en ce sens ont déjà été mises en place depuis quelques années, mais il faudra aller plus vite et plus loin. C’est le cas notamment pour la politique industrielle, qui face aux énormes investissements de nos concurrents chinois (plan « made in China 2025 ») et américains (Chips and Science Act, IRA, …) devra être considérablement renforcée.

C’est aussi le cas de la politique commerciale européenne. Plusieurs nouveaux outils ont été créés récemment : mécanisme anti-coercition, filtrage des investissements directs étrangers, instrument relatif aux marchés publics internationaux, procureur commercial européen…. Des instruments plus traditionnels (droits anti-dumping, anti subventions …) ont été utilisés de manière plus offensive, comme le montre la décision récente sur les importations de véhicules électriques chinois.

Mais là aussi le contexte nouveau appelle des actions plus déterminées. Cette politique est du ressort exclusif de l’Union européenne, et le rôle de la Commission est donc essentiel. Les principaux Etats-Membres doivent essayer de surmonter leurs divergences sur ces questions et pousser la Commission à la plus grande fermeté.

Appliquer sans trembler le principe de réciprocité

 

Vis-à-vis des Etats-Unis, une telle démarche implique d’être prêts à appliquer sans trembler le principe de réciprocité. Si l’administration Trump décidait d’appliquer, en dehors de toute règle internationale, des droits de douane supplémentaires sur les produits européens, il faudra être capables de faire de même sur les exportations américaines, sans tomber dans la surenchère.

Les services, numériques en particulier, pourraient être particulièrement ciblés par les rétorsions européennes. Dans ce domaine, ce sont en effet les Etats-Unis qui sont excédentaires (113 milliards d’euros en 2022), ce qui a probablement échappé à l’analyse de Donald Trump. Et c’est aussi dans le numérique que des mesures pourraient trouver les meilleures justifications de fond : lutte contre la position dominante des GAFAM, protection des données, pénalités pour les fake news…

Il est malheureusement vraisemblable que Donald Trump ne comprendra que ce langage de fermeté. Les risques pour le commerce mondial sont considérables, mais il faut espérer que la prise de conscience par les principaux acteurs de l’imminence du danger de guerre commerciale généralisée les conduira à revenir sur la voie de la raison.

Alain Bentéjac
La Fabrique de l’Exportation

 

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