Qu’un Pape fasse l’éloge de l’art sacré n’a rien d’étonnant. En témoigne la « Lettre aux artistes » de Jean-Paul II, écrite en 1999. Qu’un Pape se lance dans un vibrant éloge de la littérature l’est davantage : c’est pourtant ce qu’a fait le Pape François, le 11 août dernier, dans une lettre, un peu passée inaperçue dans les médias, en raison de la ferveur olympique. Dans cette courte lettre, publiée aux éditions Équateurs et préfacée par un professeur au Collège de France1, le Pape entend promouvoir « un changement radical » dans la formation des prêtres, en donnant à la littérature — pas la « littérature d’idées », fût-elle religieuse ou édifiante, mais celle des romans et de la poésie— la place qu’elle doit avoir dans la formation de tous.
Dans le style familier qui lui est coutumier, avec plein d’exemples, le Pape, qui n’oublie pas avoir enseigné quelque temps, envisage les bienfaits de la lecture des œuvres littéraires sur le corps, l’esprit, l’âme, en remédiant au stress, en détournant des écrans mortifères et des obsessions qui enferment, en guérissant la passivité intellectuelle, par les mots et le recours constant aux symboles, en ouvrant à l’altérité de « la voix de l’autre », comme le dit Borgès que le Pape aime particulièrement et a connu. Rien de neuf, direz-vous. Sous la plume du Pape, si, car le Pape ne fait pas de discrimination a priori entre œuvres religieuses et œuvres profanes.
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Là ne s’arrêtent pas les bienfaits de la littérature, laquelle a une vocation spirituelle : elle remplit la mission donnée à Adam de nommer les êtres et les choses, c’est-à-dire de leur donner un sens. Loin de toute vision simplificatrice du bien et du mal, ou idéologique, elle fait entrer dans la complexité de l’âme humaine et de ses abîmes qu’est venu habiter le Seigneur. Gymnastique de discernement au sens ignatien, qui fait passer de la conscience de nos misères —« la désolation » — à notre croissance spirituelle, elle est aussi nourriture substantielle, « digestion » et « rumination » qui permet d’assimiler la vie en profondeur. On reconnaît là l’amoureux du film « Le Festin de Babette ». Elle est enfin empathie et communion : voir à partir des yeux des autres élargit notre humanité. Constatant la piètre estime que l’on fait de la littérature dans les séminaires, le pape veut remédier à l’appauvrissement intellectuel et spirituel de la foi.
La littérature, en effet, est l’expression de la polyphonie de la Révélation, le beau fruit de l’incarnation d’un Dieu fait chair. Dans chaque grande œuvre, on peut chercher « la semence » déjà enfouie de la présence de l’Esprit —« le dieu inconnu » dont parle saint Paul—car « toutes les paroles humaines portent la trace d’une nostalgie de Dieu. » Belle idée que met en valeur, ici, le Pape !
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Le Pape a mille fois raison. Il ne s’agit pas qu’un séminariste fasse un master sur La Recherche mais connaisse « les grands classiques » qu’on étudie —qu’on devrait étudier—dans les classes : les tragiques grecs, aimés tout particulièrement par le Pape, Dante, Shakespeare, Cervantès, Racine, Balzac, Dostoïevski, Lorca, Celan… Cette connaissance de l’être humain à travers la littérature, permettrait de connaître la richesse herméneutique de l’Evangile et la spécificité « littéraire » des paraboles utilisées par le Christ.
Bien sûr, le Pape a ancré théologiquement son propos dans la Tradition : saint Paul et les pères de l’Eglise dont saint Basile et Thomas d’Aquin— dont la relique de son crâne a circulé récemment en Europe. On entend déjà les réserves au propos papal. Lire Proust au séminaire ! Celan ! Peu importe, cette lettre qui devrait toucher tout le monde, croyant ou non, fait le plus grand bien. L’ouverture à l’infini du divin, le tragique de la condition humaine, c’est dans la littérature qu’on les trouve exprimés de manière privilégiée.
61 pages.
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