Réunis le mercredi 20 novembre au Congrès des maires pour un petit-déjeuner, les édiles socialistes ont exprimé une préoccupation au sujet de l’un de leurs alliés. "La tendance de Marine Tondelier est plutôt LFI-compatible", s’est inquiété un baron nordique. Et un édile d’une grande ville de leur adresser une mise en garde : "Si les écologistes se mettent à vouloir changer d’alliance dans nos villes, les socialistes prendront leurs responsabilités dans les leurs." Les roses ont des épines, et voilà tendue la classique corde de rappel entre ces deux formations, partenaires dans la plupart des métropoles gouvernées par la gauche et les Verts, alors que Jean-Luc Mélenchon - mettant en scène ses ambitions pour 2026 - menace de présenter des listes LFI partout. Tentant ainsi de s’asseoir de force à la table des négociations à gauche. A deux ans des échéances, les édiles socialistes ont déjà cru percevoir quelques signaux faibles, redoutant l’ouverture de ce nouveau pôle d’attractivité à bâbord. In municipium veritas ?
Le PS observe le cas très particulier de Montpellier dirigée par Michaël Delafosse, où l’un des ambitieux adjoints écolos, Manu Reynaud, jugé trop proche du maire, a été exclu des Verts. Où Julia Mignacca - également présidente du parlement interne du parti et membre du courant de Marine Tondelier - appelle à constituer une "opposition unifiée et résolue" pour lutter contre les politiques "antisociales et anti-écologiques" de l’édile montpelliérain. Les socialistes gardent également un œil attentif sur la municipalité lilloise, que les écologistes ont failli ravir à Martine Aubry en 2020, à quelque 200 voix près. Stéphane Baly, reconduit par les militants locaux, a assuré ne pas faire d’alliance de premier tour avec les Insoumis. "Et au second ?", s’interroge un ténor local.
"Il y a une aspiration interne à l’union des gauches. Et à défaut, au front LFI-EELV", répond Jérôme Gleize, conseiller de Paris et figure de l’aile gauche des Verts. En l’espèce, Marine Tondelier pourra statutairement se prévaloir d’accusation en inféodation, protégée par l’article 13-13 du règlement intérieur des Ecologistes qui consacre le principe de subsidiarité aux élections locales. "Sa plus grande force à Marine, c’est d’avoir piqué le talisman de l’union à Olivier Faure au moment du NFP, observe un sénateur socialiste. Si elle veut le garder, elle va devoir choisir… dans toutes les villes. Elle ne pourra pas se replier derrière ses statuts." "Ces municipales seront un moment de vérité pour les uns et les autres", abonde Pierre Jouvet, secrétaire général du PS. Révélatrices de la nature de leurs alliés.
Car voilà quelque temps que certains déplorent, à bas bruit, une supposée inféodation des Verts aux insoumis. Au Nouveau Front populaire, l’union vit tant bien que mal et les mauvais souvenirs restent. Combien de fois, lors de conversations informelles, ces députés se remémorent ce soir de la dissolution quand Marine Tondelier, sous pression de ses parlementaires, décide d’entamer des discussions avec ses homologues mélenchonistes ? "C’est le syndrome de Stockholm des Verts, pique un PS. Hier avec nous, aujourd’hui avec les Insoumis." Car des preuves, veulent-ils croire, ils en ont à la louche. A l’image du délicat épisode des législatives partielles dans l’Isère, visant à trouver un point de chute à Lucie Castets. Après avoir affublé ses partenaires du qualificatif de "bourrins" - sans se positionner ouvertement sur l’épineuse question de l’éventuel groupe parlementaire d’appartenance de Lucie Castets - la secrétaire nationale a rapidement apporté son soutien au candidat insoumis Lyes Louffok, après que l’égérie du NFP a jeté l’éponge face à l’inextricable situation.
Une attitude que certains expliquent par la porosité des deux électorats en vue d’une dissolution à l’été prochain. Bien que la réalité soit plus complexe : "Les deux formations recueillent le vote des jeunes, des classes moyennes et supérieures et des diplômés, analyse Mathieu Gallard, directeur de recherche à l’institut Ipsos. Il y a en revanche une différence des électorats en termes de revenus, et en termes de positionnements idéologiques ; les écolos sont moins radicaux que les Insoumis."
"Quand je lis dans la presse que je suis soumise aux insoumis, c’est n’importe quoi", s’insurge Marine Tondelier. Devant ses amis, l’intéressée estime s’être fait respecter par Manuel Bompard - qu’elle surnomme "Manu" - le coordinateur des Insoumis, qu’elle a appris à connaître au gré de longues soirées de négociations, et autres réunions hebdomadaires du NFP. Avec Jean-Luc Mélenchon, la relation est rugueuse - avec qui ne l’est-elle pas ? Les deux ont déjeuné ensemble, le mois dernier. Entre deux coups de fourchette à parler poloche, on évoque sans naïveté 2027. "Je pense que tout le monde a bien compris qu’il ne s’imposait pas mais qu’il ne s’excluait pas", ironise-t-elle. A cette échéance, les socialistes craignent de voir les écologistes filer dans le giron insoumis. Ces derniers en rient parfois avec leurs homologues écolos : "A un moment, vous devrez choisir." Même injonction côté rose : "Les Verts devront déterminer par cercle concentrique quels sont leurs premiers alliés." L’union a une date de péremption, et voilà les écolos pris dans la tenaille des forces hégémoniques.
Choisir c’est renoncer. Et pour l’heure, au nom du NFP, Marine Tondelier et ses troupes aiment vraiment tout le monde… A l’Assemblée ou dans les médias, les écologistes mettent en scène leur tentative d’équidistance. Côté pile, les écolos s’accordent avec les roses pour une candidature unique de la gauche pour 2027, et ne font - tout récemment - plus de la candidature de Lucie Castets à Matignon l’alpha et l’oméga de l’alliance. Côté face, ils ne s’opposent pas ouvertement à l’éventualité d’une candidature de Jean-Luc Mélenchon (contrairement au PS), plaident pour un intergroupe NFP à l’Assemblée - seuls les Insoumis y ont répondu favorablement. "Les écolos cherchent à donner des gages aux Insoumis et aux socialistes, analyse un député de l’union. Le beau rôle n’est pas forcément le bon…"
Le beau rôle - elle est devenue la personnalité préférée des Français de gauche, selon un sondage Cluster17 - Marine Tondelier (et sa veste verte) le doit à sa tournée médiatique post-dissolution. "Elle a réussi à être au diapason de l’état émotionnel des électeurs du NFP", salue Marie Toussaint, l’ancienne tête de liste écologiste aux européennes. "Le parti a retrouvé sa place", reconnaît Yannick Jadot. Et le bon rôle, pour les écologistes ? "Le rôle de trait d’union a ses limites. Pour obtenir des compromis entre les autres, vous donnez moins de vous-même", met en garde le présidentiable écolo de 2022. Un constat partagé par Marie Toussaint : "Je crains malheureusement que la place de l’écologie soit moins importante dans le NFP que dans la Nupes." Marine Tondelier devrait, sans surprise, être reconduite à la tête du parti au congrès d’avril 2025 pour un mandat de trois ans. Autant d’années au pouvoir que d’injonctions à résoudre.