Le roi Charles, qui est toujours traité pour un cancer, s’est rendu en Inde pour recevoir des soins ayurvédiques dans sa retraite préférée. Il est arrivé à Bengaluru le 27 octobre pour passer quelques jours au "Soukya International Holistic Health Centre" (SIHHC), où il a également été rejoint par son épouse. La visite a d’abord été tenue secrète, mais après que plusieurs journaux britanniques l’ont rapportée, le palais de Buckingham a confirmé qu’elle avait bien eu lieu. Dans le flot de nouvelles un peu folles en provenance ces derniers jours du monde anglo-saxon (avec notamment le souhait de Donald Trump de nommer Robert Kennedy Jr. pour diriger le ministère de la Santé américain et le Dr Oz pour piloter le programme public d’assurance maladie), celle-ci avait peut-être échappé aux lecteurs français. Elle n’en est pas moins révélatrice de l’ampleur de la diffusion des pratiques thérapeutiques non fondées sur la science.
En Inde, la journée du couple royal a commencé par une séance de yoga le matin, suivie d’un petit-déjeuner et d’un "traitement de rajeunissement" avant le déjeuner. Après un bref repos, une deuxième série de thérapies a suivi, se terminant par une séance de méditation avant le dîner et l’extinction des feux à 21 heures. Charles est un grand fan de la médecine ayurvédique et a déjà visité le centre à neuf reprises. Le directeur du SIHHC, le Dr Mathai, a même été invité à assister à son couronnement : "Un honneur remarquable de faire partie d’un tel événement historique et reconnaissant du soutien du roi Charles III et de la reine Camilla, qui croient depuis longtemps en l’approche holistique intégrative de la santé du SIHHC", avait-il posté du Instagram.
La passion de Charles pour la médecine ayurvédique et pour le yoga n’est pas nouvelle. En 2019, il déclarait déjà que "la pratique ancienne du yoga a des effets bénéfiques avérés sur le corps et l’esprit […], et le développement du yoga thérapeutique, fondé sur des preuves, est, je crois, un excellent exemple de la façon dont le yoga peut contribuer à la santé et à la guérison. Cela ne profite pas seulement à l’individu, mais permet également de conserver des ressources précieuses et coûteuses en matière de santé pour d’autres personnes, là où elles sont le plus nécessaires et au moment où elles le sont". Grand fan de la pratique, il ajoutait même deux ans plus tard que "par sa nature même, le yoga est une pratique accessible qui permet aux praticiens de gérer le stress, de renforcer la résilience et de promouvoir la guérison".
L’Ayurvéda est un ancien système de soins indien qui comprend de la méditation, des exercices physiques, des conseils de nutrition, diverses formes de "désintoxication", de la relaxation, des massages, des compléments alimentaires et du yoga. Les concepts de prévention des maladies, d’équilibre, d’interconnexion universelle, de constitution du corps (prakrit) et de forces vitales (doshas) sont des principes importants de la médecine ayurvédique. Medline, la plus grande banque de données d’articles médicaux, répertorie actuellement plus de 6 000 articles sur l’Ayurvéda et 6 000 autres sur le yoga, ainsi que plus de 10 000 sur la méditation. Pourtant, les preuves solides et encourageantes sur les bénéfices réels de ces pratiques sont restées très rares.
Les remèdes ayurvédiques sont généralement des mélanges de plusieurs ingrédients et peuvent être composés de plantes, de produits animaux et de minéraux. Ils contiennent souvent des substances toxiques, telles que des métaux lourds, qui sont délibérément ajoutés dans la croyance ancienne mais erronée qu’ils peuvent avoir des effets positifs sur la santé. Plusieurs remèdes ayurvédiques sont connus pour causer des dommages au foie.
Dans les faits, la plupart des études sur les traitements ayurvédiques présentent des lacunes méthodologiques et ne sont donc pas concluantes. Une revue Cochrane, par exemple, a conclu que "les preuves sont actuellement insuffisantes pour recommander l’utilisation de ces interventions dans la pratique clinique courante". L’efficacité des remèdes ayurvédiques dépend, bien entendu, de la nature exacte de leurs ingrédients. Ceux-ci étant très variables, les généralisations sont donc problématiques. Des résultats prometteurs n’existent que pour un très petit nombre d’ingrédients uniques, notamment le boswellia, le curcuma, l’encens et l’andographis paniculata.
Pour la méditation, les preuves sont tout aussi faibles. Notre propre analyse sur l’effet de la méditation sur les pathologies cardiovasculaires, par exemple, a conclu que "malgré le grand nombre d’études incluses, l’hétérogénéité était substantielle pour de nombreux résultats, ce qui a réduit la certitude de nos conclusions". La majorité des études était de petite taille et le risque de biais n’était pas clair pour la plupart des domaines. Dans l’ensemble, nous avons trouvé très peu d’informations sur les effets de la méditation sur les paramètres cliniques cardiovasculaires, et des informations limitées sur la pression artérielle et les résultats psychologiques, pour les personnes présentant un risque de maladie cardiovasculaire ou souffrant d’une maladie cardiovasculaire établie.
Le yoga comprend des exercices d’étirement doux, de contrôle de la respiration et de méditation. L’objectif est de renforcer le "prana", la force vitale telle qu’elle est comprise dans la médecine traditionnelle indienne. On prétend donc qu’il serait utile pour la plupart des affections. De nombreux essais cliniques ont été réalisés sur diverses techniques de yoga. Ils souffrent généralement d’une mauvaise conception et ne sont donc pas toujours fiables. Plusieurs revues systématiques ont résumé les résultats de ces études. Une revue d’ensemble a inclus 21 revues systématiques portant sur un large éventail de conditions. Neuf revues systématiques ont abouti à des conclusions positives, mais nombre d’entre elles étaient associées à un risque élevé de biais. Seules la dépression et la réduction du risque cardiovasculaire ont fait l’objet de conclusions unanimement positives.
Le yoga est généralement considéré comme sûr. Cependant, une enquête à grande échelle a révélé qu’environ 30 % des participants à des cours de yoga avaient subi un certain type d’effet indésirable. Bien que la majorité d’entre eux n’aient présenté que des symptômes légers, les résultats de l’enquête indiquent que les patients souffrant de maladies chroniques étaient plus susceptibles de subir des effets indésirables. Certains experts ont mis en garde contre le fait que certains professeurs de yoga tentent de recruter leurs clients pour qu’ils adhèrent aux aspects les plus occultes du yoga.
La médecine ayurvédique pourrait-elle aider le roi Charles à vaincre son cancer ? Selon les principaux partisans de ce domaine, l’Ayurvéda est la voie à suivre pour les malades. Ils considèrent que le cancer est le résultat d’une altération à long terme des Doshas et d’un déséquilibre persistant d’Agni (feu digestif) qui s’étend jusqu’au niveau des tissus. Ce déséquilibre conduirait à l’accumulation d’Ama, de déchets non digérés et d’inflammation chronique, entraînant une malformation des Dhatus (tissus). L’Ayurvéda est censé traiter ces déséquilibres et offrir une voie intégrative pour aider les patients à relever ces défis en rétablissant l’équilibre du Dosha, en guérissant les tissus et en améliorant la clarté mentale. Des concepts jamais démontrés, qui vont à l’encontre de la science. On peut donc douter que ces pratiques apportent un réel bénéfice au souverain, malgré sa passion durable pour les pratiques alternatives.
Une chose paraît sûre, en revanche : Camilla n’a pas bénéficié de sa cure de médecine ayurvédique. Peu après son retour au Royaume-Uni, elle est tombée malade et a annoncé l’annulation de tous ses engagements à la suite d’une grave infection virale…
Edzard Ernst, professeur émérite, université d’Exeter, Royaume-Uni.