Dimanche 17 novembre, Hossein Ronaghi, un blogueur, journaliste et militant iranien a posté une photo de lui sur les réseaux sociaux, lèvres cousues. Littéralement. Un fil bleu traversant ses muqueuses encore tuméfiées. "J’irai m’asseoir ainsi devant le tribunal révolutionnaire islamique, écrivait-il dans son message. Lèvres cousues, car je n’ai qu’un mot à leur dire : 'non'." Depuis, les réseaux sociaux rapportent que Hossein Ronaghi – qui a déjà passé six ans en prison depuis 2009 - aurait été arrêté et incarcéré par le régime des mollahs.
"Non". Le petit mot qui roule du fond des âges ; qui se dit si vite et se paye si cher. Dans un entretien filmé en 1970, André Malraux résumait ainsi : "Rien n’est plus important dans l’histoire du monde que de faire partie des gens qui ont été capables de dire "non". Le plus grand personnage de l’histoire, c’est Antigone." A travers la jeune fille qui s’opposa aux lois de Créon pour offrir une sépulture à son frère, on sait à quels terribles cortèges Malraux rendait ainsi hommage.
Ils sont fascinants, ceux qui sont "capables de dire non". Comme Antigone. Comme Hossein Ronaghi. Comme Ahou Daryaei, cette jeune étudiante de Téhéran qui, après avoir été harcelée sur son campus par la police des mœurs, s’est dévêtue sur le parvis de son université. "Non", disaient ses cheveux au vent ; "non", insistaient son soutien-gorge et sa culotte, au milieu de ses congénères estomaqués. Le symbole fut si fort, l’émotion si grande qu’après l’avoir internée plusieurs semaines en hôpital psychiatrique, les mollahs l’ont relâchée depuis deux jours.
Ils sont rares, ceux qui sont capables de dire non. Comme Boualem Sansal, l’écrivain algérien, qui, depuis la décennie noire en Algérie, n’a jamais cessé de s’opposer dans ses romans, ses essais et ses interviews à l’islamisme. Et au régime algérien. On apprend aujourd’hui que l’écrivain n’a plus donné de nouvelles depuis qu’il a atterri à Alger (où il se rendait depuis Paris), le 16 novembre. Il aurait été arrêté par les autorités, écrivent nos confrères de Marianne. Depuis des années, Boualem Sansal est de ceux qui disent non. Malgré les menaces. Malgré ce qu’il en coûte. "Mais se tenir à l’écart n’est pas très citoyen, ça ne construit pas l’avenir pour les enfants", nous a-t-il expliqué sobrement, à l’occasion d’une interview, en novembre 2020. Alors : parler. Dire et redire : non.
Comme l’écrivain Kamel Daoud. Prix Goncourt 2024, pour son roman, Houris, qui met en scène une jeune femme rescapée d’un égorgement pendant la décennie noire et qui, ayant perdu l’usage de ses cordes vocales, s’adresse dans une voix intérieure à sa fille à naître. Le roman a été interdit de publication en Algérie, d’où nous parvient depuis quelques jours une campagne de disqualification à l’encontre de l’écrivain : une femme dit qu’il s’agit là de son histoire, racontée sous le sceau du secret médical à la femme de Kamel Daoud, psychiatre. Et, selon nos informations, au moins un des jurés du prix Goncourt aurait reçu des messages menaçants juste pour avoir primé Houris. Quant à Kamel Daoud, il ne les compte plus, ces menaces. Le lendemain de son Goncourt, au micro de France Inter, après avoir dit sa joie immense et rendu un hommage magnifique à ses parents, il a eu des mots qui ne pouvaient que saisir le cœur : "J’ai sur le dos les islamistes pour des raisons évidentes ; j’ai sur le dos les conservateurs du régime pour des raisons évidentes ; mais j’ai aussi sur le dos les intellectuels de la caste décoloniale, parce que je parle d’une guerre qui n’est pas la guerre de leur rente… Et si vous ajoutez le fait que j’exprime aussi ma passion pour la France, et que je parle de ma propre voix, et que je suis un villageois qui arrive à Paris sous les strass, je pense que vous réunissez tout ce qu’il faut pour une décapitation." Tenir, malgré tout.
Malgré tout, certains s’obstinent à vouloir salir un courage dont ils sont, eux, si peu dotés – traitant l’un d’"islamophobe", l’autre de "fasciné par l’extrême droite", etc. Il faudrait, pourtant, que nous soyons plus nombreux derrière, et avec ces valeureux défenseurs de la liberté. Ce "non" qu’ils ont le courage de formuler est pour nous tous. Vive Hossein Ronaghi. Vive Ahou Daryaei. Vive Kamel Daoud. Et vive Boualem Sansal.