Élisabeth Borne est en colère. L’ancienne Première ministre n’apprécie guère la stratégie déployée par Michel Barnier dans l’examen du budget. La députée du Calvados avait vite dégainé en 2022 et 2023 l’article 49.3 de la Constitution, faute de majorité à l’Assemblée. Son successeur est du genre patient. Lui prend son temps, laisse vivre le débat. Il est pourtant condamné au même destin. Encore un instant monsieur le bourreau !
Existe-t-il un bon usage du 49.3 ? Dans son ouvrage "Vingt mois à Matignon" (Flammarion), Elisabeth Borne réhabilite "l’un des outils les plus forts du contrôle du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif", susceptible d’entraîner la chute d’un gouvernement. Qu’importe cette réalité constitutionnelle, seule compte la perception. L’outil est impopulaire. Il génère un procès en autoritarisme et illégitimité politique. Tout juste un Premier ministre peut-il espérer limiter la casse en le déclenchant au bon moment. L’art du 49.3 est celui du "timing".
Le 5 septembre, Michel Barnier annonce des "ruptures" lors de la passation de pouvoir avec Gabriel Attal. Elles sont de méthode, tant le Savoyard et ses alliés partagent les mêmes orientations idéologiques. Ainsi, il promet du "respect entre le gouvernement et le Parlement", loin de la verticalité macronienne. L’examen du budget traduit cet engagement. "Déclencher tôt le 49.3 mettrait en danger la cohérence de Michel Barnier", note une ministre. Là, il nourrit son credo de l’écoute." Qui imagine le patient négociateur du Brexit claquer la porte après dix minutes de négociation ?
En bon judoka, Michel Barnier utilise la force de l’adversaire. La gauche et le Rassemblement national (RN) défont son budget à coups d’alliances de circonstances. Lui les laisse faire, ses ministres poussent des cris d’orfraie sur les hausses d’impôts massives adoubées par les deux blocs. Ces votes ne dessinent pas un projet commun. Le Premier ministre mise sur un rejet du budget par l’Assemblée pour envoyer sa copie au Sénat - à majorité de droite - et retarder ainsi au maximum l’usage du 49.3. L’article ne serait alors pas une réponse à l’absence de majorité. Plutôt un remède à l’incapacité de l’Assemblée à bâtir un compromis.
Cette stratégie laisse un goût amer aux députés du socle commun. Ces élus ont le sentiment de siéger pour rien et d’être instrumentalisés. "Le gouvernement veut construire sa popularité sur le dos de l’Assemblée", raille un député EPR. Plusieurs d’entre eux mettent en garde contre un affaiblissement de la démocratie représentative, victime collatérale d’une stratégie politique. Cette tactique est enfin pétrie d’ambiguïtés. Michel Barnier compte imposer son propre budget, mais laisse les députés débattre au nom de la vitalité démocratique. "Il devra alors expliquer pourquoi il s’éloigne de la copie du Parlement, avec des objets populaires votés", note un ancien ministre.
Un 49.3 précoce ? Vous avez peur des députés ! Un 49.3 tardif ? Vous ne les avez pas écoutés ! L’accusation de mépris est simplement différée. A chacun ses contraintes. Michel Barnier doit soigner son image de diplomate. Élisabeth Borne ne pouvait mettre en scène la construction d’un budget "Frankenstein" par les oppositions. Ni s’appuyer sur un Sénat ami. D’interminables débats n’auraient fait qu’illustrer une absence de majorité absolue connue de tous. Le 49.3 est un sport qui se joue les mains liées.