Le jour J est arrivé : après des mois d’une campagne d’une rare violence, les Américains se rendent aux urnes ce mardi 5 novembre 2024. Si les premiers résultats commenceront à tomber dans la nuit du 6 novembre (heure française), après la fermeture des premiers bureaux de vote outre-Atlantique, l’issue du scrutin pourrait prendre plusieurs jours avant d’être connue. Et, durant ce temps, largement évoluer au fil du dépouillement - jusqu’à, dans l’absolu, contredire les tendances initiales. En cause : un phénomène de "mirage de votes", bien identifié ces dernières années.
Lors de la présidentielle de 2020, un "mirage rouge" (la couleur des républicains), également appelé "changement bleu" (celle des démocrates), s’était produit entre le moment du dépouillement des premiers bulletins et le résultat final. Dans certains Etats-clés comme l’Arizona, la Géorgie, le Michigan, le Nevada ou la Pennsylvanie, l’avance initiale dont semblait bénéficier Donald Trump avait ainsi fondu au fil du décompte des voix, avant que Joe Biden ne reprenne la tête dans les heures et jours qui avaient suivi. Un phénomène que le milliardaire et ses partisans avaient largement instrumentalisé pour hurler, sans preuve, à la fraude électorale.
"Le mirage rouge est une illusion d’optique dans laquelle les résultats initiaux sont favorables aux républicains, parce que certains votes - par anticipation ou par correspondance - sont dépouillés plus tard, et sont structurellement plus favorables aux démocrates qui utilisent davantage ces façons de voter, détaille Lauric Henneton, maître de conférences à l’université de Versailles Saint-Quentin. Cette situation peut donc potentiellement faire basculer le résultat final dans un Etat où l’un des candidats semblait en bonne voie de s’imposer au début du dépouillement."
A l’inverse des démocrates qui avaient plébiscité le vote par correspondance en 2020, la politisation de la question du Covid par Donald Trump avait conduit nombre de ses partisans à se rendre directement au bureau de vote pour glisser leur bulletin dans l’urne. Ceux-ci étant les premiers à être dépouillés dans plusieurs Etats comme la Pennsylvanie ou le Wisconsin, ils avaient de facto été surreprésentés dans les résultats initiaux, donnant l’illusion d’une avance pour l’ex-président. Selon une étude du Pew research center, 58 % des électeurs de Joe Biden avaient voté par correspondance en 2020, contre seulement 32 % de ceux de Donald Trump.
Au-delà des préférences partisanes dans la manière de voter, la géographie électorale peut, elle aussi, influer sur le mirage de vote. Une étude du Massachusetts Institute of Technology a ainsi révélé que dans la plupart des Etats, les comtés républicains de petite taille avaient été les plus rapides à dépouiller en 2020. Contrairement aux grands centres urbains - généralement favorables aux démocrates - qui rassemblent plus d’électeurs par bureau de vote, la logistique du décompte des voix dans les circonscriptions rurales de taille plus réduite prend moins de temps et permet une remontée plus rapide des résultats.
Faut-il dès lors s’attendre, comme en 2020, à un phénomène d’ampleur ? Pour l’heure, les premières données semblent pointer vers un effet plus nuancé. Selon le Florida Election Lab de l’université de Floride, le nombre de personnes à avoir voté de manière anticipée au 4 novembre était de 15,4 millions de démocrates et 14,6 millions de républicains. "Si le déséquilibre entre les deux partis est moins important, le mirage rouge pourrait être moindre dans les premiers résultats, avec en corollaire, un rattrapage démocrate moins important en fin de dépouillement, résume Lauric Henneton.
En parallèle, certains Etats ont modifié leur législation depuis le scrutin de 2020 pour permettre un décompte plus rapide des voix. Dans le Michigan, le dépouillement des votes par correspondance peut désormais commencer avant le jour de l’élection, réduisant les effets de mirage à l’issue du vote. En Géorgie, c’est même un "mirage bleu" qui pourrait se produire. Le résultat des votes anticipés et par correspondance devant être communiqué à 20 heures au soir de l’élection, une légère avance démocrate pourrait s’estomper à mesure que les votes du jour de l’élection seront dépouillés par la suite.
Quoi qu’il en soit, le camp de Donald Trump n’a en tout cas pas attendu pour crier au loup. Le 30 octobre, l’ex-président a dénoncé une "tricherie" à "une échelle jamais vue auparavant" en Pennsylvanie, évoquant une enquête sur un lot de 2 500 demandes d’inscription électorale comportant des inexactitudes. En parallèle, plus de 200 litiges électoraux sont d’ores et déjà en cours dans une quarantaine d’Etats, laissant penser que le leader républicain pourrait refuser de reconnaître sa défaite s’il est battu sauf, dit-il,..."si l'élection est juste". Nul doute que, le cas échéant, il saura utiliser tout mirage de votes à son profit.