Après son père Jean-Marie, Marine Le Pen aurait-elle coordonné un système de détournement de fonds européens alors qu'elle était présidente du Front national (devenu Rassemblement national) ? Cette question sera au cœur des débats d'une nouvelle journée d'audition au tribunal judiciaire de Paris, dans le cadre du procès des assistants parlementaires du FN, ce mardi 5 novembre.
La justice soupçonne le parti d'extrême droite d’avoir eu recours à des emplois fictifs au Parlement européen de 2004 à 2016 : des assistants parlementaires d’eurodéputés FN auraient, en fait, travaillé pour le parti.
Des prévenus mis en difficultéDepuis le 30 septembre 2024, le tribunal s'est intéressé aux relations entre les députés européens et leurs assistants. Des audiences difficiles pour les 25 prévenus, poussés dans leurs retranchements par la présidente Bénédicte de Perthuis, et confrontés aux nombreux éléments récoltés par les enquêteurs.
Le procès a débuté le 30 septembre et se tient tous les lundis, mardis et mercredis après-midi.
L'assistante personnelle de Marine Le Pen Catherine Griset, a, par exemple, eu bien du mal à prouver qu'elle l'accompagnait dans son travail parlementaire. Son contrat l'obligeait à vivre à Bruxelles et elle ne s'y rendait que « deux nuits » par semaine, logée chez Charles Van Houtte (comptable du FN et assistant parlementaire, lui aussi mis en examen).
Le député de l'Yonne Julien Odoul fait, lui aussi, partie des prévenus. À la barre, il n'a pu apporter toutes les preuves de son travail pour Mylène Troszczynski, dont il était l'assistant entre octobre 2014 et juillet 2015. A contrario, un faisceau d'indices tend à prouver qu'un montage financier lui a permis d'être embauché au cabinet de la présidente du parti.
« Écoutée, oui, entendue, on verra plus tard »Marine Le Pen a été auditionnée le 14 octobre, pendant plus de six heures, sur quatre contrats passés avec des assistants quand elle était eurodéputée. Elle a martelé le même message, à savoir « le caractère indissociable de l'activité politique d'un député européen ». C'est ce qui justifierait, selon elle, que le travail fourni par les assistants ne se limite pas au seul volet législatif. « J'ai été écoutée, oui, entendue, on verra plus tard », déclarait-elle le lendemain de cette audience marathon.
L'audience du jour s'intéressera au « système » qu'aurait mis en place le FN pour que le Parlement européen rémunère des assistants qui travaillaient pour le parti. Jean-Marie Le Pen en aurait été l'initiateur selon la procédure, mais il ne comparaît pas à cette audience, pour raisons de santé.
L'avocat Me Rodolphe Bosselut assiste Marine Le Pen dans ce procès.
Marine Le Pen aurait repris le flambeau lorsqu'elle est devenue présidente du parti, sur la période du 16 octobre 2011 au 31 décembre 2016. Selon l'ordonnance de renvoi devant le tribunal, elle aurait « donné des instructions aux députés européens ». Christophe Moreau, un ancien expert-comptable du parti, a décrit aux enquêteurs « une gestion centralisée » où « le président [du parti] avait une vue sur les enveloppes budgétaires » allouées aux députés pour recruter des assistants.
La réunion du 4 juin 2014La triple candidate à l'élection présidentielle devra s'expliquer sur une réunion qui se serait tenue le 4 juin 2014 à Bruxelles. C'est ici qu'elle aurait exposé son plan aux députés fraîchement élus. Selon Sophie Montel, ancienne eurodéputée qui a depuis quitté le mouvement, Marine Le Pen y aurait tenu ces propos :
Chacun d'entre vous dispose d'une enveloppe budgétaire pour embaucher ses assistants. Je vous indique donc que vous aurez le choix de recruter par vous-même un assistant et que le reste de votre enveloppe sera mis à la disposition du mouvement.
Des propos corroborés par Aymeric Chauprade, un autre témoin de cette réunion. Mais pour Marine Le Pen, ces déclarations sont mensongères. Elle aurait seulement indiqué qu'au sein du parti, il y avait des militants et des salariés souhaitant être assistants parlementaires et qu'elle trouverait « agréable » que les députés s'attachent d'abord à regarder au sein des équipes du FN.
Les enquêteurs ont trouvé, lors des perquisitions, de nombreux tableaux de synthèse et de suivi des emplois faisant l'objet d'un financement sur fonds européens. « Ces documents de suivi démontrent une gestion globalisée des enveloppes, la recherche d'une optimisation des imputations salariales, et pour certains assistants le caractère purement comptable de leur rattachement », conclut l'ordonnance de renvoi.
Toujours présumée innocente, Marine Le Pen devra se justifier sur tous ces éléments, elle qui risque une peine de prison de dix ans, un million d'euros d'amende et une peine d'inéligibilité de dix ans.
Antoine Compigne