On ne devient pas riche en gagnant le Goncourt. Du moins pas tout de suite, puisque le lauréat ne reçoit qu’un petit chèque de 10 euros en guise de récompense toute symbolique.
On le devient en revanche ensuite, car le plus prestigieux des prix littéraires est aussi un formidable accélérateur de ventes. En le décrochant, c’est un peu comme si les écrivains et leur maison d’édition gagnaient au Loto.
"Le gain est non négligeable"Ces dernières années, deux « Petit poucet » ont vécu ce bonheur pour la première fois : Philippe Rey en 2021 et L’Iconoclaste en 2023. Chacun a pu vérifier combien "l’effet Goncourt" est une réalité.
"C’est vrai que le gain est non négligeable", avance pudiquement Laurent Beccaria, le directeur de L’Iconoclaste. La maison d’édition espérait écouler 450.000 exemplaires de Veiller sur elle, le livre de Jean-Baptiste Andréa sacré l’an passé. Elle flirte aujourd’hui avec les 700.000, ce qui en fait le troisième Goncourt le plus vendu de l’histoire après L’Amant de Marguerite Duras et L’Anomalie d’Hervé Le Tellier.
1,1 million d’euros en moyenne par auteurPhilippe Rey, patron de la maison d’édition qui porte son nom, confirme que le sacre de Mohammed Mbougar Sarr en 2021 avec La Plus secrète mémoire des hommes, permet aujourd’hui à son entreprise "de travailler de manière plus sereine." L’ouvrage s’est vendu à environ 560.000 exemplaires.
"Les bénéfices engrangés doivent servir, dans une maison comme la nôtre, à pérenniser notre indépendance. Nous continuons donc à faire notre travail comme avant, en accord avec nos valeurs, sans velléité d’expansion."
Les éditeurs restent traditionnellement discrets sur les sommes que permet réellement de générer un Goncourt. Mais on estime qu’un auteur perçoit un peu plus de 10 % du produit des ventes. Jean-Baptiste Andréa pourrait ainsi avoir touché environ 1,7 million d’euros, quand la moyenne des gains d’un lauréat est évaluée à 1,1 million.
Si la direction de L’Iconoclaste n’avance pas de chiffre, elle précise toutefois que la maison d’édition a gagné "à peu près la même somme" que son auteur.
Une autre dimensionLaurent Beccaria confie également avoir renégocié le contrat de Jean-Baptiste Andréa, quand l’objectif de 450.000 ventes a été dépassé : "Cela nous paraissait normal, car c’est une chose qui ne lui arrivera pas une autre fois dans sa vie."
Au-delà de l’aspect financier, le Goncourt fait entrer brusquement dans une autre dimension. "Vous recevez le coup de fil de la secrétaire de l’Académie et tout bascule", raconte Laurent Beccaria.
"Vous sortez du taxi, il y a les photographes, les caméras… Le soir, Jean-Baptiste a fait le 20 heures de France 2, le lendemain la matinale de France Inter. Deux jours après, il était avec la ministre de la Culture dans le train en route pour la Foire du livre de Brive où il a déjeuné avec François Hollande?! Personne n’a ce genre de vie, à part un Premier ministre ou des stars absolues du cinéma qui, avant d’en arriver là, ont dû passer plein d’étapes."
Un aimant à "plumes"Moins exposées aux yeux du grand public, les maisons d’édition capitalisent elles aussi sur ce gain de notoriété. "Le rayonnement du prix Goncourt a mis notre maison en lumière et a conforté notre réputation de sérieux auprès de tous les acteurs de la profession", remarque Philippe Rey. Conséquence : il est désormais plus facile pour lui d’attirer de nouvelles "plumes" talentueuses.
"Nous sommes plus visibles, et à présent dans le radar des primo-romanciers", se réjouit l’éditeur.
"Il est évident que certains auteurs ont tendance à aller naturellement vers les maisons qui reçoivent beaucoup de prix, en se disant qu’ils augmentent de cette manière leurs chances d’en avoir un eux aussi, constate Laurent Beccaria. Avant, on ne pouvait pas le dire aussi fort chez L’Iconoclaste. Mais maintenant qu’on a eu le plus prestigieux…"
Valérie Trierweiller, mieux qu'un GoncourtLe Goncourt n’est toutefois pas l’unique moyen d’écouler des livres en quantité industrielle. Trois auteurs édités par Les Arènes - la maison associée à L’Iconoclaste - devancent ainsi Jean-Baptiste Andréa au palmarès des plus gros vendeurs de l’entreprise, rappelle Laurent Beccaria. Parmi eux, une certaine Valérie Trierweiller dont le livre confession sur sa relation avec François Hollande (Merci pour ce moment) a été vendu à près de 800.000 exemplaires. Pas sûr que Jean-Baptiste Andréa et l’ancien président de la République partagent cette anecdote s’ils ont de nouveau l’occasion de dîner ensemble.
Tanguy Ollivier