La caresse d’un ciel étoilé posé sur un front levé, des nuages de poussière évanouis sous les pas, quelques flammèches de poésie échappées d’un grand feu, un peu d’immensité et beaucoup d’énergie : voici ce que contient, entre autres images, An Indian’s Life, le dernier album du contrebassiste Henri Texier. Une œuvre puissamment évocatrice, un chant collectif singulier, qu’il vient jouer, samedi 9 novembre, sur la scène de La Maison, à Nevers, dans le cadre du D’Jazz Nevers Festival.
- On dit de vous que vous êtes une légende du jazz... Comment le vivez-vous ?
Cela ne m’impressionne pas du tout. On dit cela, car je ne suis plus tout jeune, je frise les 80 ans (rires)... Mais je suis toujours en activité, et cela, c’est génial ! Je joue avec des musiciens merveilleux, qui m’inspirent. Il est vrai que j’ai commencé très jeune, que vers 16 ou 18 ans, je jouais déjà avec des musiciens professionnels. J’ai eu la chance d’accompagner des légendes américaines, d’enregistrer énormément de disques, de beaucoup voyager... [...] Et quand j’ai lancé des formations sous mon nom, j’ai joué avec de jeunes musiciens qui sont ensuite devenus très connus. En ce sens, on dit que je suis découvreur de jeunes talents...
- Vous semblez vous définir particulièrement dans la relation à l’autre...
Ce qui est merveilleux, avec le jazz, c’est que c’est une musique initiatique. Si vous jouez avec certains musiciens, leur créativité vous pénètre. Je me suis "fabriqué" avec de très grands musiciens, j’ai absorbé les ressentis, les émotions, le vocabulaire. Le jazz, c’est une forme d’art qui se transmet par le vécu. Je dois en être au 25e album sous mon nom et j’ai eu la chance de pouvoir choisir et de proposer à des musiciens de grand talent de jouer avec moi. J’ai participé à l’époque be bop, free jazz, j’ai même eu un groupe de pop music...
J’ai traversé beaucoup de choses et aussi confronté ma pratique musicale avec d’autres pratiques artistiques : théâtre, cinéma, cirque... Ce qui m’importe, c’est le "jouage". Échanger, explorer, construire, remettre sur le métier. C’est la pratique qui me meut ! (rires)
- Ce projet, An Indian’s Life, marque la fin d’un triptyque, après Indian’s Week (1993) et Sky Dancers (2015)... Qu’est-ce qui vous attire, vous émeut et vous parle dans la culture amérindienne ?
Je m’y suis intéressé dès l’enfance, gamin, en jouant aux cow-boys et aux Indiens... Et je choisissais le camp des Indiens. Ce qui m’a fasciné, à part le côté esthétique, c’est le rapport à la nature, la liberté de s’y déplacer. Les grands espaces me faisaient rêver. Et puis il y a chez toutes ces nations d’Amérique du Nord le respect absolu de cette nature, des animaux, des plantes. Ils remercient la terre d’être là, sachant qu’elle ne leur appartient pas. (...)
Mais je ne me prends pas pour un Indien, je ne suis pas un "Indian lover". J’ai eu l’occasion de me rendre dans cette région, avec un ami Navajo. Et là-bas, ils abhorrent tous les Blancs qui se prennent pour un Indien.
"Je voulais reparler des Indiens, parce que personne ne le fait"- Que raconte cet opus ? Quelles histoires vouliez-vous partager ?
Je voulais reparler des Indiens, parce que personne ne le fait. Les guerres continuent, au travers des expropriations... Pour ne prendre qu’un exemple, la photographie, sur la pochette de cet album, a été tirée d’une manifestation sur une terre sacrée des Sioux, menacée par un projet de pipeline pour le pétrole, avec des risques pour une immense nappe phréatique. [...] Ici, j’ai d’abord imaginé une sorte de road-movie d’un Indien. Et puis, quand la chanteuse Himiko Paganotti a posé ses voix sur la chanson Black and Blue, je me suis dit que ce serait une héroïne. D’où le titre Apache Woman.
- Black and Blue de Fats Waller, est le seul titre qui n’est pas de vous. Pourquoi l’avoir choisi ?
Il y a des libertés que je m’octroie dans le "fil conducteur". Cette fameuse héroïne, donc, est en Louisiane, et tout à coup, elle arrive à New-York, dans les années 1940. Elle entend l’orchestre de Duke Ellington qui joue ce morceau-là... J’ai toujours aimé cette chanson extraordinaire. Himiko Paganotti la chante merveilleusement bien. Elle me fait penser aux très grandes chanteuses, comme Billie Holiday.
- Parmi les musiciens qui vous accompagnent, il y a votre fils Sébastien, qui joue avec vous depuis le début des années 1990... Qu’est-ce que cela représente pour vous de jouer avec lui ?
Il aimait les mêmes choses que moi, je ne l’ai pas fait exprès (rires). Quand il est parti s’installer dans son petit appart’, un bon tiers des disques sont partis avec lui... Assez vite, entre nous, c’est devenu un compagnonnage. Quand j’ai une idée, c’est à lui que j’en parle en premier. Parfois, il m’en fait changer. Et ce qu’il joue, son son, sa démarche me plaisent. On a une relation très naturelle, il y a peu de différence avec les autres musiciens. Il n’est pas question de fierté, mais plutôt du fait d’être heureux, pour lui et pour moi.
Concert, samedi 9 novembre, à La Maison, à Nevers. Henri Texier sera accompagné de Sébastien Texier et Sylvain Rifflet (saxophones, clarinettes), Gautier Garrigue (batterie), Manu Codjia (guitare), Carlo Nardozza (trompette), Himiko Paganotti (voix).Première partie : Sélène Saint-Aimé.Tarifs : de 18 à 30 €.Toutes les infos sur le site www.djazznevers.com.
Propos recueillis par Alice Forges