La Martinique connaît depuis le 1er septembre de violentes manifestations contre la vie chère. Rien ne semble pouvoir ramener le calme dans cette Collectivité territoriale caribéenne présidée par Serge Letchimy. Si l’État a formulé des annonces majeures mercredi 16 octobre, une partie des manifestants s’emploie toujours à faire basculer le mouvement vers la révolte insurrectionnelle.
L’Etat tente depuis plusieurs années de résorber les difficultés posées par le coût de la vie dans les Antilles, notamment en Martinique. Selon l’INSEE, les prix des denrées alimentaires y sont en moyenne de 40% supérieur à ceux pratiqués dans la métropole. Les spécialistes des outremers s’attendaient donc à de nouvelles manifestations, puisque l’environnement macroéconomique est défavorable ainsi que le contexte géopolitique global. Il y a 15 ans, le K5F (Comité du 5 février) plongeait l’île dans la grève générale autour de ces questions de pouvoir d’achat. Le mouvement dura plusieurs mois, fut émaillé par des pénuries et des rationnements qui ont traumatisé les commerçants locaux, et ne s’était achevé qu’après la conclusion des accords du 14 mars 2009 instaurant une hausse de 200 euros des salaires les plus modestes.
Afin d’éviter la renaissance d’un mouvement comparable, l’État réunissait en décembre 2023 un séminaire de lutte contre la vie chère. Il a permis notamment de déterminer que les acteurs de la grande distribution ne détenaient pas la clé du problème puisque leurs prix ne dépendent pas de leurs marges, mais avant tout des coûts de transport, des grossistes ou encore… de la fiscalité. Il faut dire que l’octroi de mer n’est plus fléché correctement. Originellement pensé au XVIIème siècle, cette taxe spécifique aux « colonies » d’alors ne prend pas en compte les évolutions des habitudes de consommation des Martiniquais d’aujourd’hui. Est-il normal que le coût de produits de première nécessité soit près du double en Martinique alors que les téléphones mobiles sont au même tarif ?
Il y a donc des chantiers sur la table et des solutions concrètes en mettre en œuvre. Le footballeur Thierry Henry l’a lui-même rappelé dans un appel émouvant : « Je veux envoyer mon soutien aux gens en Guadeloupe et en Martinique. Je ne sais pas si vous le savez, mais la vie est chère là-bas. C’est la France, au passage. Ce n’est pas un État géré par la France, c’est la France. Le prix des produits alimentaires dans les magasins est deux, trois, quatre ou cinq fois plus cher qu’en métropole ».
Pourtant, si le constat est sans appel, la solution ne saurait se trouver chez Rodrigue Petitot et sa bande.
À l’image d’autres révolutionnaires professionnels dont on a pu mesurer l’influence en France ou en Nouvelle-Calédonie ces derniers mois, Rodrigue Petitot profite de la crise et du désespoir des Martiniquais pour semer le chaos. Condamné à quatre reprises dans des affaires de trafic de drogue dont la dernière remonte à 2016, Monsieur Petitot a aussi été quatre fois emprisonné dans l’Hexagone. Il a ainsi passé une dizaine d’années derrière les barreaux. Comment peut-il être aujourd’hui un interlocuteur crédible pour l’État et les autorités locales alors que son profil comme ses discours, aux forts relents de racisme, témoignent d’une personnalité aussi instable que violente ?
Principal responsable de la flambée de violence qui terrifie les habitants de l’île, Rodrigue Petitot est aussi le spécialiste des discours de haine à destination des « beckés » qui sont les Martiniquais d’ascendance européenne installés de longue date sur l’île. Une population qui sert de bouc-émissaire récurrent dès que les Antilles sont en proie à des crises sociales.
Le mouvement né en septembre n’a du reste rien de spontané, mais semble bien avoir été préparé de longue date puisque le « Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens » (RRPRAC) a été créé sous statut d’association le 15 juillet 2024 avant de connaître une stupéfiante montée en puissance. Un hasard de calendrier étonnant puisque le Groupe d’initiative de Bakou réunissait des militants indépendantistes ultramarins français le 18 juillet en Azerbaïdjan. Présenté comme un « Congrès des colonies françaises », ce sommet était officiellement organisé par l’Union populaire pour la libération de la Guadeloupe avec la participation de vingt partis politiques séparatistes, dont des Néo-Calédoniens, des Corses ou encore… des Martiniquais.
Marie-Laurence Delor exprime avec une certaine colère sur Mediapart les manipulations politiques entourant les mouvements de protestation en Martinique : « On s’est aussi un peu soucié de la dénomination de l’association : « Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro caribéens ». Elle dit explicitement un parti pris négriste, une définition étriquée de l’identité dans des sociétés fortement métissées et pluriraciales : ceux qui n’ont pas d’ascendance africaine sont ainsi irrémédiablement exclus, effacés… » Pis encore, elle ajoute la chose suivante : « Parler comme le font les médias et l’administration préfectorale de « violence, de pillage et de déprédation en marge du mouvement » est une grave erreur de lecture. La violence, le pillage et les déprédations sont en réalité au cœur de cette parodie de révolte : pour mobiliser les voyous il faut, en effet, leur donner la garantie d’y trouver leur compte »[1].
Nous sommes donc en face d’un mouvement sous faux drapeau. Des voyous racistes agglomérés autour d’une personnalité charismatique et violente s’organisent pour racketter la collectivité martiniquaise, ses habitants et l’État. Ils ne gagneront évidemment rien de concret pour la population qui y perd déjà avec les incendies criminels, vols, destructions, pillages et violences qui ensanglantent la Martinique depuis le mois de septembre. Une fois de plus, l’État doit faire preuve d’autorité et de fermeté en mettant un terme aux agissements de gangs présentés en « syndicats » qui n’ont d’autres intérêts que ceux de leurs chefs.
Mais cette fermeté doit aussi s’accompagner de mesures ciblées, concrètes et intelligentes pour améliorer les conditions de vie des Martiniquais. C’est ce que l’État a fait le 16 octobre avec l’engagement pris avec les distributeurs de baisser de 20% en moyenne les prix de l’alimentaire. Bien entendu, le RRPRAC a refusé l’accord pourtant arraché de haute lutte par les acteurs martiniquais les plus engagés. Rodrigue Petitot a même appelé à poursuivre le mouvement de violences, ayant trop à perdre à l’arrêt des émeutes…
[1] https://blogs.mediapart.fr/marie-laurence-delor/blog/300924/vie-chere-une-lecture-critique-des-troubles-en-martinique
L’article Incendies, pillages, tirs: en Martinique, la colère vire à la délinquance pure est apparu en premier sur Causeur.