L’équipe idéale n’existe pas. Fabriquée avec des personnalités diverses, des genres et des âges différents, elle constitue un collectif de travail, dans lequel l’humain s’exprime parfois haut et fort. Retrouvant sa personnalité en dépit d’une communauté professionnelle une et indivisible, le spécialiste de tout, celui qui explique même avant qu’on l’ait sollicité, fait sourire au début. Agace ensuite. Et si rien n’est réglé, la guerre peut être déclarée, soit avec ses collègues qui ne supportent pas cette prise de pouvoir, soit par le manager qui peut se sentir contesté.
Prises de paroles impromptues, mails au monde entier, grands discours en mode grand colloque à la machine à café. "on pense à deux modèles de "je-sais-tout". Celui en mode "Tontons Flingueurs", c’est l’ancien, unique mémoire des lieux, qui fait la leçon au manager parachuté. A l’autre extrémité, le néophyte surdiplômé qui se prend pour l’Elu, alias Thomas Anderson dans "Matrix". "Evidemment qu’il faut challenger le statu quo. La question est : comment exploiter le potentiel de ces collaborateurs-là ?" analyse Alexandre Imbeaux, directeur produit chez Lucca (éditeur de solutions RH et finances). "Hier on respectait la pyramide, mais les salariés veulent de moins en moins rester à leur place", poursuit l’expert.
Un Français sur deux envisage en effet de changer de métier, 60 % chez les 26-34 ans (enquête de Lucca/Augmented Talent sur l’employabilité et l’avenir professionnel, octobre 2024). "73 % des salariés pensent devoir développer de nouvelles compétences, mais 20 % seulement abordent réellement le sujet avec leur manager". Réticents. Méfiants. Cette proportion de taiseux interroge. Pour Alexandre Imbeaux, c’est au manager de détecter les signes de l’impatience pour faire progresser son collaborateur, sans se vexer ou se braquer quand celle-ci est exprimée. Le costume de petit chef drapé dans ses convictions passe de moins en moins, à l’heure où les réussites sur Youtube et des influenceurs sont les nouveaux modèles. "Le manager doit exploiter les forces vives de l’entreprise plutôt que de les mettre sous cloche", juge Alexandre Imbeaux.
Réfléchir aux aspirations des membres les plus décomplexés de son équipe, est aussi un aiguillon pour ne pas oublier ces 80 % prêts aussi à évoluer. "Il faut se servir de cette énergie exprimée pour nourrir le collectif ! Le manager aurait tort de vouloir enfermer les intelligences, alors que nous disposons d’un outil fantastique : la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel" (qui a notamment réformé en profondeur la formation professionnelle). Pourtant, 57 % des responsables RH reconnaissent ne pas communiquer sur l’offre de formations aux salariés (enquête Lucca, août 2023). "Former ses collaborateurs au lieu de recruter, c’est aussi leur faire confiance en leur donnant les moyens de prendre en main leur carrière dans l’entreprise, d’évoluer par l’enrichissement de leurs compétences et par conséquent de les fidéliser", conclut l’expert.
"Il faut que le manager s’interroge : pourquoi la personne agit-elle de la sorte ?", souligne pour sa part Vianney Lepoutre, coach de managers et dirigeants. Voir avec les RH pour exfiltrer les franchement hostiles, les définitivement opposants. Repérer les hauts potentiels, qui trouvent des solutions à tout, plus vite que les autres. "C’est une très grande chance de les avoir dans une équipe", poursuit l’auteur de Les compétences relationnelles du manager (Gereso, juin 2024).
Pour les autres profils, les fougueux et les désinhibés, apprendre à les transformer en alliés. "La méthode douce est de lui faire cadeau d’un feedback en le questionnant sur sa lucidité. En posture basse, pour l’écouter". Comprendre le "pourquoi" de ce comportement. Lui faire prendre conscience de son attitude. Puis passer un deal. Par exemple, avec un code, la personne pourra s’exprimer en réunion à un moment précis. Le monsieur-qui-sait-tout ne manquera plus de reconnaissance et deviendra un collègue précieux, capable de faire passer des messages pour son manager.
Celui-ci devra néanmoins adopter une méthode plus musclée si la méthode douce n’a pas suffi. "Il faut être très exigeant dans le travail de ces personnes, mettre la barre haut pour les faire grandir. Oser la confrontation et les recadrer, quitte à avoir un langage plus directif". Se taire dessert le manager vis-à-vis des autres membres de l’équipe. Enfin, une approche financière fera évoluer les plus butés : comme mettre 75 % du variable sur le comportement. Histoire de finir de convaincre les derniers réfractaires…