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Rencontre avec Payal Kapadia, la réalisatrice indienne qui a conquis Cannes

Rencontre joyeuse sur une plage bruyante et agitée de Cannes, en mai dernier, avec Payal Kapadia, cinéaste indienne de grand talent, autrice de All We Imagine as Light, premier film indien présenté en sélection officielle depuis Destinée (Swaham), de Shaji N. Karun en 1994.

Elle ne savait pas encore qu’il allait remporter le Grand Prix. Son long métrage Toute une nuit sans savoir avait déjà reçu le prix du meilleur documentaire sur la Croisette en 2021. Payal Kapadia, très souriante et avenante, volontiers rieuse, paraît bien plus jeune que son âge. Elle a 38 ans et n’est pas une débutante.

Vous connaissez bien Cannes…

Payal Kapadia – Bien, je ne sais pas, mais ce n’est effectivement pas la première fois que je viens ici. Non seulement parce que mon précédent film, Toute une nuit sans savoir, a remporté L’Œil d’or en 2021, mais aussi parce que l’un de mes courts métrages, Afternoon Clouds, avait été présenté à la Cinéfondation en 2017. J’y avais aussi, en tant que résidente, travaillé sur All We Imagine as Light en 2019-2020, juste avant le Covid. Donc, oui, je connais un peu Cannes.

Vous avez aussi reçu un prix à Berlin, et là, vous entrez directement en compétition officielle à Cannes avec votre premier long de fiction. C’est extraordinaire…. À chaque fois que vous faites un film, vous remportez un prix ?

Non, je n’ai pas eu de prix à Berlin, j’y ai juste été sélectionnée ! Pareil pour All We Imagine as Light. [Rires.]

Votre film raconte une histoire d’amitié entre femmes. Est-ce qu’elle a quelque chose d’autobiographique ?

Une partie correspond à mon enfance : j’ai grandi dans une famille où cohabitaient beaucoup de femmes de différentes générations et qui s’entraidaient. C’est ce que j’ai voulu montrer à travers la relation entre ces femmes, qui se soutiennent. Mais un jour, on quitte sa famille. On se fait des amis, en grandissant, et peu à peu, ils deviennent une autre famille. Et c’est cette définition de l’amitié que j’ai voulu explorer : qu’est-ce que c’est, au fond ? Parce que s’il existe des définitions précises de ce qu’est un père, une mère, une sœur, etc., il me semble qu’il n’y en a pas pour un ami. L’amitié peut revêtir des formes différentes.

Votre film est très beau, surprenant, très moderne. On n’est pas du tout habitué à voir un film indien de ce style en Occident...

J’ai fait l’école de cinéma de Mumbai, le Film and Television Institute of India, où nous voyions beaucoup de films du monde entier, de toutes les époques : la Nouvelle Vague, les films russes des années 1920, etc. Je crois que mon film a subi l’influence de nombreux cinémas.

Vous filmez Mumbai et la cité balnéaire de la deuxième partie très différemment…

Oui, j’ai volontairement choisi deux types de couleurs différentes. Mumbai est “bleue”, et la ville balnéaire, Ratnagiri (à environ 340 km au sud), est “rouge”. Je voulais également montrer les deux saisons de l’Inde, en tout cas sur sa côte occidentale : la mousson à Mumbai, en juin et juillet, et la saison sèche à Ratnagiri, en novembre. Les couleurs et la lumière sont très différentes dans les deux villes. Et les sentiments des personnages aussi. Au bord de la mer, les maisons sont très rouges, car construites avec une pierre très ferreuse.

Vous avez tourné avec deux caméras, n’est-ce pas ?

OUI ! Vous êtes très observateur. Vous êtes le premier à me le dire !

Mumbai est la capitale du cinéma en Inde ! C’est très compliqué de tourner là-bas

En fait, je vais vous décevoir, mais je l’ai lu quelque part…

[Elle éclate de rire.] Mumbai est la capitale du cinéma en Inde ! C’est très compliqué de tourner là-bas. On tourne partout dans cette ville, tout le temps, et ça coûte très cher de tourner dans la rue. Mais dès qu’il y a une grosse caméra très chère qui apparaît dans une rue, tout le monde vient regarder, dans l’espoir de voir une star de Bollywood. C’est pour ça que j’ai tourné avec deux caméras, dont l’une était plus discrète, petite, numérique, et ne coûtait pas cher.

Il y a un aspect très documentaire dans votre film, même si c’est une fiction.

J’aime beaucoup ce mélange, le fait que des comédiens jouent dans un décor naturel entourés de gens qui ne sont pas acteurs. J’aime beaucoup Cléo de 5 à 7, d’Agnès Varda, pour cette raison-là notamment. J’ai filmé toutes les scènes où les acteurs mangent dans l’effervescence de la rue avec la petite caméra numérique, et personne ne voyait que je tournais.

Vous êtes la troisième cinéaste que je rencontre à Cannes, avec Jia Zhangke et Miguel Gomes, qui me parle de ce mélange entre la fiction et le documentaire. Leurs films présentés ici partent d’images documentaires pour construire ensuite une fiction avec elles. Ce mélange n’est pas nouveau dans le cinéma, mais on sent qu’il prend une autre dimension chez les grands réalisateurs.

Oh, je suis une immense fan de Miguel Gomes ! Dans le cadre de mes études, j’ai écrit un mémoire sur la fiction et la non-fiction dans son cinéma [rires] ! Tout ce qu’il peut faire m’influence, bien sûr.

Votre film n’est pas proprement politique, mais vous montrez très bien les différences qui existent entre les femmes selon leurs castes. Ce film ne peut pas vous attirer des ennuis en Inde ?

Peut-être pas. Les trois femmes sont d’une caste différente, et je suis moi-même issue d’une autre caste, privilégiée. Les castes donnent accès à des privilèges, et le mariage les perpétue, car il est impossible d’épouser quelqu’un qui n’est pas de la vôtre… C’est très raciste. Pareil pour la religion : il est très difficile d’épouser quelqu’un qui n’est pas de la vôtre. Le film sera montré au comité de censure de mon pays, et il me demandera peut-être de couper certaines scènes, mais peu importe. C’est avant tout un film d’amour…

C’est très beau, cette scène de fin, où l’une des femmes rêve que son mari revient.

Oui, comme un génie dans un conte. En Inde, nous avons beaucoup de fables, de contes avec des fantômes, des apparitions qui reflètent les désirs des êtres humains. Je voulais terminer mon film sur ce type d’image…

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