Contre les douleurs articulaires, faut-il se mettre au "sans gluten" ? Ou plutôt éviter le lait de vache ? Jeûner ? A moins que le soulagement ne vienne du régime du Dr Seignalet ? De l’alimentation cétogène ? Peut-être faudrait-il sinon se nourrir comme les chasseurs-cueilleurs ? Et pourquoi pas prendre des capsules de curcuma ? De l’extrait d’ail ? Des probiotiques ? Dans les pathologies comme l’arthrose ou l’arthrite, des maladies très fréquentes, les avancées médicales des dernières années ont apporté des progrès importants, mais sans toutefois réussir à soulager totalement les patients. Comme souvent quand la médecine n’a pas réponse à tout, les propositions pseudo-thérapeutiques font florès sur les réseaux sociaux et sur Internet, et les malades peuvent être tentés d’essayer l’une ou l’autre de ces solutions soi-disant "miracle", sans forcément en parler à leur médecin.
Pour répondre aux interrogations des patients, mais aussi les alerter sur les dangers de ces préconisations souvent farfelues, deux professeurs de médecine, le rhumatologue Jérémie Sellam et le nutritionniste Sébastien Czernichow publient ces jours-ci un ouvrage à la fois passionnant et didactique : Arthrose, arthrite, je me soigne en mangeant (Solar). Car oui, si elle ne fait pas tout, et ne peut remplacer les médicaments, l’alimentation joue un rôle important dans les douleurs articulaires. A priori contre-intuitifs, les liens entre nutrition et articulations s’expliquent pourtant aisément. "A l’intérieur des articulations, la membrane synoviale est très vascularisée et apporte les nutriments nécessaires au cartilage, décrypte le Pr Czernichow. Celui-ci n’est donc pas isolé du reste de l’organisme, bien au contraire : il est exposé à tout ce qui circule dans le sang". Et notamment aux molécules inflammatoires, particulièrement délétères.
L’inflammation est en effet la grande responsable des maladies articulaires. Soit qu’elle les cause directement, comme dans l’arthrite. Soit qu’elle soit la conséquence d’un problème "mécanique" (surpoids, obésité, blessures…) comme dans l’arthrose, qu’elle va ensuite contribuer à aggraver. Dans les deux cas, le résultat est le même : les molécules de l’inflammation vont attaquer les tissus de l’articulation. "On distingue les deux phénomènes pour la bonne compréhension des pathologies, mais en réalité, tout est très intriqué. Comment expliquer sinon l’arthrose des mains, qui ne peut être liée au poids contrairement à l’arthrose du genou ou des hanches ?", souligne le Pr Czernichow. Et c’est là que l’on reboucle avec la nourriture, car il a été largement démontré qu’il est possible d’agir sur son niveau d’inflammation par l’alimentation.
Les patients le savent bien d’ailleurs. Dans une étude dirigée par le Pr Sellam auprès de 392 participants (étude Rhumadiet), il ressortait que ceux-ci constataient une amélioration ou une détérioration de leurs symptômes en fonction des aliments consommés. Avec d’un côté par exemple les légumes verts ou l’huile d’olive perçus comme bénéfiques, et de l’autre l’alcool ou le fromage vus comme péjoratifs. "Au-delà de ce ressenti, qui peut être tout à fait réel à titre individuel, il revient ensuite aux scientifiques de mener les études nécessaires pour distinguer les impressions d’une personne de mesures généralisables, qui puissent être conseillées plus largement aux patients", souligne Sébastien Czernichow.
C’est là le grand mérite de cet ouvrage : donner au lecteur les clés pour distinguer science et croyance, et faire des choix alimentaires rationnels. "Pour recommander un régime ou une mode alimentaire à un patient souffrant de rhumatismes, une seule étude ne suffira pas, ni des expériences menées uniquement au laboratoire sur des cellules en culture ou sur des souris. Plusieurs études devront être concordantes afin de confirmer une recommandation nutritionnelle", écrivent les deux médecins. Or, à ce jour, un seul "régime" coche toutes ces cases : l’alimentation méditerranéenne.
Moins sexy que le dernier régime à la mode, et pourtant… Des études ont bien montré que plus les patients adhèrent à ce modèle alimentaire, mieux leur rhumatisme est contrôlé, ou moins il progresse. Ces travaux, observationnels, sont utiles mais considérés comme de faible niveau de preuve : une corrélation n’implique pas forcément un lien de causalité. Mais ces analyses ont été complétées par des études dites "interventionnelles", qui consistent à comparer l’évolution de patients répartis de façon aléatoire entre deux groupes, l’un suivant une diète méditerranéenne, l’autre poursuivant son alimentation habituelle. Une méthode similaire aux essais cliniques en vigueur pour évaluer les médicaments.
Détaillées par les deux spécialistes dans leur livre, l’ensemble des données disponibles confirment le bénéfice de cette alimentation pour les patients souffrant de rhumatismes. "Elle peut donc utilement venir en complément des traitements médicamenteux", souligne le Pr Jérémie Sellam. Comprenant principalement des céréales complètes, des fruits et des légumes, de l’huile d’olive, du poisson et des laitages, l’alimentation méditerranéenne est aussi pauvre en viandes grasses et en sucres rapides. Riche en fibres, elle a probablement une action sur le microbiote intestinal (les milliards de bactéries qui composent notre flore intestinale), lui-même très impliqué dans la régulation des mécanismes inflammatoires. Maintenue dans la durée, elle permet une perte de poids, et contribue à une amélioration globale de la santé, en diminuant les risques de diabète ou de maladies cardiovasculaires.
Difficile de faire mieux. Pourtant, dans l’enquête Rhumadiet menée par les deux chercheurs, seuls 5 % des participants suivaient cette alimentation. Un chiffre sans doute un peu sous-estimé par rapport aux pratiques de la population, reconnaissent les auteurs de l’étude, mais à mettre en rapport avec les préconisations alimentaires majoritairement adoptées par les participants à cette enquête. La plupart recourraient à des régimes sans gluten, sans lactose, végétariens, quand ils n’étaient pas adeptes du jeûne thérapeutique. Autant de diètes basées sur des exclusions alimentaires, particulièrement difficiles à suivre dans la durée, qui n’ont pourtant pas fait la preuve de leur utilité, et qui peuvent même s’avérer risquées. "Les patients font des essais sur eux-mêmes, ils se laissent séduire par ces régimes d’exclusion compliqués car cette complexité leur paraît souvent un gage d’efficacité, un peu comme quand on dit 'il faut souffrir pour être beau ou belle'", témoigne le Pr Sellam.
Pour chacun de ces régimes dits d’exclusion (sans gluten, sans lactose…), les deux médecins remontent aux sources de la croyance, et passent en revue la littérature scientifique disponible – généralement très réduite et, pour les quelques travaux existants, avec des résultats négatifs, ou insuffisants pour en tirer des conclusions fiables. Exemple avec le régime sans gluten, probablement le plus suivi. "Le gluten est vu comme nocif, car il peut s’attaquer à la paroi de l’intestin et entraîner une inflammation, expliquent des deux auteurs. C’est vrai, mais uniquement dans le cadre d’une maladie bien précise, la maladie cœliaque". Impossible d’extrapoler ce constat aux maladies articulaires. D'autant qu'à ce jour, aucune étude n’est venue évaluer correctement le "sans gluten" chez les patients souffrant de rhumatismes. Nul dogmatisme ici toutefois : "Une étude est en cours dans la spondylarthrite, menée par une équipe française basée à Clermont-Ferrand, nous verrons quels en sont les résultats. Ces travaux sont importants pour apporter des réponses fiables aux patients", poursuit le Pr Sellam.
En attendant ? Si un malade s’est déjà lancé, et qu’il y trouve du mieux, pourquoi pas mais en faisant attention aux effets délétères. Sinon, mieux vaut s’abstenir, selon les deux auteurs. Car non seulement les produits "sans gluten" sont coûteux, mais ils peuvent aussi… nuire à la santé, en entraînant des carences en vitamines et en minéraux, et en augmentant la consommation de sel, de sucres et de mauvaises graisses. Les autres régimes sont à l’avenant, tout comme les compléments alimentaires, dont aucun n’a fait la preuve de son efficacité. Pas plus que les probiotiques, pourtant censés agir sur la flore intestinale. "Les probiotiques disponibles aujourd’hui sont les plus faciles à produire, mais pas forcément les plus efficaces […] et un probiotique ne va de toute façon pas agir de la même manière selon l’état du microbiote de celui qui les consomme", notent les deux médecins. En clair, s’ils sont prometteurs, la science n’est encore aujourd’hui pas suffisamment avancée pour permettre de les conseiller.
"Malheureusement, certains n’hésitent pas à jouer sur la détresse des patients", regrette Sébastien Czernichow. Son conseil face aux vendeurs de "miracles" : "Demander des preuves de l’efficacité alléguée", résume-t-il. En nutrition comme dans bien d’autres domaines, la méthode scientifique reste le meilleur rempart face aux fausses croyances. Et la seule voie possible pour des choix réellement éclairés.