" Si on veut changer la ville, il faut également changer la société. " D'entrée, Alain Musset, géographe à l'Institut Universitaire de France, donne le ton de l'entretien mené par Éléonore Thery, rédactrice en chef de So Good. Invité du plateau Big média à l'occasion d'un Jour E organisé à Nantes en avril dernier, le spécialiste hexagonal de la smart city, ou ville intelligente, est revenu sur un concept qui doit permettre aux villes du futur (proche ?) de devenir durables. Extraits.
La smart city, un mix entre technologies et écologie" Une smart city, c'est une ville gérée par un ordinateur, vulgarise Alain Musset. Le but est de créer une ville, certes intelligente, mais aussi habitable, durable et qui va permettre à ses habitants de développer leurs capacités. " Apparu au tout début des années 2000 en Asie, notamment en Corée du Sud, le terme de smart city induit le fait de développer une civilisation entière sous l'aspect du numérique et de l'intelligence artificielle. Néanmoins, cette dernière doit également être abordée sous l'aspect de l'écologie, comme le précise Alain Musset. " La ville intelligente va au-delà des technologies, elle se doit d'être en relation avec son environnement, indépendante sur le plan de l'énergie, avoir un bilan positif en produisant de l'énergie pour elle, mais également pour les autres. "
Comment développer une smart city durable ?Dans ce contexte, comment imaginer une smart city durable alors que la seule collecte de datas alourdit considérablement un bilan carbone ? Une interrogation à laquelle Alain Musset répond en précisant qu'il ne peut pas y avoir de villes durables sans villes intelligentes. " La smart city génère des économies d'énergie, notamment grâce à la mobilité douce, explique-t-il. Pour prendre un exemple concret, le projet The Line en Arabie Saoudite, une ville de 500 mètres de haut et de 170 kilomètres de long, sera à même de produire son énergie via l'installation de panneaux solaires sur des murs recouverts de verre. " Le géographe marseillais met également en avant le développement des circuits courts pour appuyer ce concept. Il croit au développement de villes plus denses et compactes, ne nécessitant pas l'utilisation massive des moyens de transport polluants. Plutôt Amsterdam que Los Angeles en somme.
Pourquoi la technologie est essentielle à la smart city ?Rentabiliser et faciliter la gestion, à la fois des déplacements, de la consommation et des déchets : la technologie est un rouage essentiel de la smart city. " J'ai beaucoup travaillé sur les villes d'Amérique latine, confie Alain Musset. Dans quelques années, on voyagera jusqu'en Amérique du Sud non pas en avion, mais avec des turbo voiles. La hi-tech hybridée avec la low tech nous permettra de rester connectés tout en voyageant de façon écologique. " Pour construire une smart city durable, trois choses sont d'ailleurs à prendre en compte selon l'agrégé de géographie : la dimension de viabilité économique tout d'abord, de l'équité sociale dans un deuxième temps et enfin une relation renouvelée avec l'environnement. Trois grands défis auquel le concept de smart city doit répondre, mais qui pour le moment, à l'image du projet The Line mené en Arabie Saoudite, n'est pas encore au point.
Une smart city pour ouverte à tous ?À l'heure actuelle, les projets de smart city proposés posent en effet un problème d'ordre social : ils ne s'adressent qu'à une partie de la population qui a les moyens d'y habiter. " Celles conçues aujourd'hui sont réservées aux élites intellectuelles et financières, déplore Alain Musset. La ville n'est que l'expression d'une idéologie, d'un ordre social. Si on veut la changer, il en va de même pour la société, les modes de production et donc remettre en cause les principes même du capitalisme néolibéral globalisé. On ne souhaite en aucun cas le développement d'iles de prospérité au milieu d'un océan de misère. " L'exemple le plus abouti ? Masdar, selon le géographe, un projet de ville nouvelle basé sur un urbanisme écologique aux Émirats arabes unis, en construction depuis février 2008. Un concept qui n'attire pas les foules pour le moment, car situé trop loin du centre historique d'Abou Dabi.
Peut-on transformer n'importe quelle ville en smart city ?Tous les projets en cours de smart city conçoivent des villes nouvelles. Ne pourrait-on pas modifier le paysage urbain actuel pour tendre vers ce qu'Alain Musset préconise ? " Je veux être optimiste, appuie le géographe. Les écoquartiers, ces ilots à l'intérieur des villes, sont la base du développement de la smart city. En s'agrégeant les uns aux autres, on peut aboutir à une transformation durable des villes. " En ce sens, le biomimétisme, une approche prenant pour modèle la nature afin de relever les défis du développement durable, peut permettre de relever l'enjeu de la smart city selon lui : " Les iles du Frioul sont un bel exemple de développement en phase avec la nature, grâce au travail remarquable de l'architecte Olivier Bocquet. " Pour le moment, les smart cities sont trop isolées, c'est-à-dire coupées de leur contexte, de leur environnement et de la société. Gageons que la nouvelle génération d'architectes saura relever le défi qu'Alain Musset appelle de ses voeux.
Retrouvez l'intégralité de l'interview d'Alain Musset à Jour E 2024
Cet article a été publié initialement sur Big Média Le concept de la smart city décrypté par Alain Musset