Allier
Judith De Cock : «On a beaucoup de chance avec notre remplaçant. On part en confiance »La famille de Cock de Haut-Bocage (Allier) est partie cet été en vacances en SuisseAvant de lancer son atelier de poules pondeuse il y a trois ans, Judith De Cock a exercé dix ans comme salariée au contrôle laitier. «Quand je me suis installée, je ne voulais pas que ça change quoi que ce soit à la vie de famille », explique la jeune éleveuse de 35 ans, maman d’enfants de 5 et 11 ans. La complexité, c’est que Judith n’a pas d’associé mais un mari, Benoît, qui élève des vaches salers et leurs deux entreprises sont séparées. Ce qui ne les empêche pas de synchroniser leurs vacances ! En clair, le service de remplacement de l’Allier a dû trouver celui ou celle qui parviendrait à s’occuper des vaches et des poules en même temps sur cette ferme de Haut-Bocage.Cet efficace remplaçant s’appelle Gaétan et supplée les de Cock depuis deux ans: « J’ai l’impression que ça fait plus longtemps, car comme on est en confiance, on peut partir plus souvent(...) On a beaucoup de chance de l’avoir trouvé. Il est totalement autonome », se félicite Judith.Après un séjour en amoureux à Madère au printemps, Judith et Benoît sont partis en Suisse avec les enfants une semaine début août. «Heureusement, il n’a pas fait trop chaud pour les poules cette semaine-là », observe Judith, qui reconnaît qu’elle ne sait de toute façon pas couper son téléphone.
Je n’ai pas un besoin viscéral de me dire que je ne veux plus entendre parler de la ferme pendant une semaine.
Pour Judith, les vacances, c’est important, mais elle tient à rappeler un autre avantage du métier :« On peut organiser sa journée à son gré. Pour les enfants, bien sûr, mais moi, ça me permet aussi d’être pompier volontaire. Je me fais remplacer pour les formations ».
Puy-de-DômeMargaux Serre-Simon : « Je ne peux pas laisser ma fille sans vacances »Margaux et sa fille Flore à Royan
Un séjour à Royan malgré les imprévus. Julien Serre et Margaux Serre-Simon ont créé leur Gaec à Cournols, où ils élèvent 70 vaches laitières. Malgré une véritable passion pour leur travail, pas question de sacrifier leur vie de famille. Tout est une question d’organisation pour le couple, qui programme chaque année une semaine de vacances. « L’été dernier, on est parti aux Sables-d’Olonne avec notre fille Flore, deux ans et demi, et les trois enfants de Julien. On part souvent à la mer, ça fait du bien », dit Margaux.
En mars dernier, elle et Julien sont partis quinze jours en Argentine pour leur voyage de noces. Le périple avait été planifié tôt, avec le soutien du père de l’agriculteur, de leur salariée, du service de remplacement et des anciens propriétaires de l’exploitation. Sauf que juste avant leur retour, la ferme a été prise pour cible par un incendiaire. Même si les dégâts matériels sont importants, aucun animal n’a été blessé. Mais la semaine de vacances estivales en famille est tombée à l’eau. Margaux est donc partie seule cinq jours avec Flore, en août, après les foins et avant les vêlages.Elle a opté pour Royan. « Il y a le zoo, des pistes cyclables… Je trouvais ça sympa et ça reste raisonnable en partant toute seule avec elle », dit la mère de famille.
À deux ans et demi, c’est marrant d’aller à la mer avec elle, les enfants aiment bien. Je ne peux pas la laisser sans vacances.
Son mari est resté à Cournols avec ses enfants à cause de l’incendie. Il était parti trois jours en avril au Futuroscope avec eux. Même lorsqu’ils arrivent à partir, la déconnexion n’est jamais totale, avec un appel au moins tous les deux jours, pour suivre les vaches. Idem, avant leur voyage de noces, tout avait été calé : « Les commandes d’aliments avec la livraison les vendredis. On avait laissé tous les numéros de dépannage pour les tracteurs. On avait curé avant de partir ». Tout est une question de (grosse) organisation.
Haute-LoireStéphane Ferret : « On se fait du souci mais une fois dans l’avion, on ne peut pas revenir »
Stéphane Ferret, éleveur laitier à Saint-Pierre-du-Champ (Haute-Loire) et sa femme Nathalie sont partis en Irlande cet été.
«Avec ma femme, on n’aime pas trop le chaud. Début août, on avait 35-40 °C ici, à Saint-Pierre-du-Champ. En Irlande, on est passé à 20 °C » , se félicite Stéphane Ferret, qui fournit la laiterie de Beauzac, celle du populaire Saint-Agur, avec 36 vaches prim’holstein. Cet éleveur de 54 ans, converti au bio, est un adepte de la « simplification ».
Avec sa femme, qui travaille à Saint-Étienne, ils ont pu partir pour la première fois en plein été, durant 11 jours. « J’ai arrêté les céréales cette année et les récoltes d’herbe étaient quasiment finies », explique Stéphane Ferret. Stéphane et Nathalie ont l’habitude de partir loin. Auparavant, c’était au printemps ou à l’automne. « On se fait toujours du souci mais une fois dans l’avion, on ne peut pas revenir en cas de pépin, il faut bien que ça se fasse ».
Cet agriculteur à l’âme de bourlingueur a également un truc pour pouvoir compter sur des remplaçants chevronnés pour des séjours de plusieurs jours : « J’anticipe, surtout pour un remplacement estival. J’ai réservé le créneau dès le mois de novembre ». Le système d’élevage « simplifié au maximum » de Stéphane Ferret facilite aussi les remplacements.
CorrèzeSylvain Amathieu : dans son Gaec, la prise de congés fait partie du règlement intérieur
La famille Amathieu de Naves : Sylvain,Jules et Delphine ont pu partir 8 jours en vacances. Photo Agnes GaudinInstallé près de Tulle, Sylvain Amathieu (photo Agnès Gaudin) a la chance de pouvoir compter sur ses associés pour pouvoir prendre des congés en été. Élevage, maraîchage, production de pain… le Gaec de la Maisonneuve, à Naves, ne peut pas se permettre de lever le pied à la belle saison, surtout avec les marchés de pays.
« C’est un peu compliqué, mais j’ai pris une semaine en août pour aller à Saint-Jean-de-Luz. Ça permet de couper un peu, de préserver la vie de famille. Le reste de l’année, c’est un week-end sur deux. Je peux emmener mon fils au rugby, bricoler pour la maison ».
Les autres associés prennent des congés en juin et septembre. Installé en Gaec depuis 2010, Sylvain Amathieu a connu le travail en solitaire : « En élevage, en étant seul, c’est quasiment impossible de partir en vacances, même en se faisant remplacer. Ce n’est pas facile pour quelqu’un qui fait 35 heures par semaine et qui ne connaît pas l’exploitation d’assurer derrière un agriculteur qui fait 70 heures par semaine. » Au Gaec de la Maisonneuve, la prise de congés fait partie du règlement intérieur.
CantalJean-Luc Rodier : « Dès que je monte dans la voiture, je suis en vacances »Jean- Luc et Sylvie Rodier, dont les enfants sont grands, ont pu partir plusieurs fois cette année : ils sont adeptes des randonnées et des visites.« On ne peut pas partir trop longtemps, mais je crois que trois semaines je m’ennuierais, mais dès que je monte dans la voiture, je suis en vacances », assure Jean-Luc Rodier, éleveur laitier à Saint-Mary-le-Plain, au nord du Cantal. Avec Sylvie, son épouse, ils fournissent une fromagerie (cantal et bleu d’Auvergne) et produisent des veaux de boucherie.
Depuis quelques années le début du mois de septembre leur offre une fenêtre pour un séjour express : « Là, on part quatre jours au bord d’un lac en Corrèze pour se ressourcer ». Adeptes des chambres d’hôtes, Jean-Luc et Sylvie se lèvent toujours tôt pour optimiser leur temps et visiter la région.Depuis que leurs enfants sont adultes, Sylvie et Jean-Luc, qui vient de fêter ses soixante ans, n’hésitent plus à s’éclipser de l’exploitation plusieurs fois dans l’année : « Pour les réunions familiales, mais aussi en juin, entre deux récoltes, et en septembre, on évite la haute saison ».
En juin, ce couple de montagnards adepte de la randonnée est parti une semaine dans l’Aude. La chance de Jean-Luc et de Sylvie est de pouvoir compter depuis plusieurs années sur Pierre, leur remplaçant attitré, qui n’habite pas loin. L’exploitant vante cette collaboration sur la durée.
Il connaît tout, plus besoin de lui expliquer, je ne pense même plus à mes vaches tellement j’ai confiance en lui.
Pierre prend en charge la traite en plein air estivale, des prim’holstein, une spécificité du Gaec. « En fait, il s’occupe de tout : vaches, génisses, veaux, chien et chat », s’amuse Jean-Luc.
Les vancances : 10% des demandes de remplacementLes vacances ne sont pas la seule échappatoire au malaise agricole et l’absence de « congés payés » n’est peut-être pas le plus gros frein au nécessaire renouvellement générationnel, mais mener une vie « comme tout le monde » fait partie des nouveaux critères d’attractivité du métier. Les nouveaux installés privilégient l’association, généralement sous la forme d’un GAEC, qui offre une rotation sur les week-ends et les congés. Les exploitants familiaux et individuels font appel au service de remplacement, structuré dans chaque département.En 2022, au niveau national, les remplacements pour « congés » non provoqués par un accident, la maladie ou une naissance ne représentaient encore que 10 % des demandes.
Recueilli par Gaëlle Chazal, Eric Porte et Julien Rapegno