Bruno Le Maire, surnommé l’« Indéboulonnable » comme on surnommait Robespierre l’« Incorruptible », pour le plus grand malheur des Français, quitte donc enfin le ministère de l’Économie : l’heure est à la jubilation ! « Je vous aime mais je pars », a déclaré le romancier devant ses troupes, se prenant pour Napoléon à Fontainebleau, avant de citer Michel Sardou (ce doit être le en même temps macronien ; et dire que la Cinquième a connu André Malraux !). On ne s’étendra pas sur ces paroles de politique : le ministre, s’il nous avait aimés un peu plus sincèrement, serait parti un peu plus tôt — « je vous aime, donc je pars », eût été pour le coup une vraie preuve de sa dévotion.
Ministre de l’Économie, donc, de 2017 à 2024, l’Indéboulonnable a bien de quoi se rengorger : on a rarement fait pire ; vraiment, il y a quelque chose d’admirable, à se maintenir en poste pendant sept années avec de tels résultats. L’économie n’est pas une science exacte, loin s’en faut, et c’est d’autant plus triste pour notre ministre démissionnaire, qui face à l’évidence en est réduit à expliquer son bilan déplorable par le Covid ou les gilets jaunes, comme un criminel cherche à fléchir le tribunal avec son enfance difficile. Hélas pour lui, les chiffres sont sans appel : la dette publique (brute), qui s’élevait à 2.100 milliards en 2018, soit 89,5% du PIB, monte à 3.160 milliards d’euros au deuxième trimestre 2024 (presque 111% du PIB, soit une augmentation de plus de mille milliards !)1 Pire : le déficit public, entre 2018 et 2023, est passé de 2,5 à 5,5%2 du PIB, et devrait franchir cette année la barre des 5,6%3 ; pour mémoire, l’Union Européenne a fixé à 3% le seuil à ne pas dépasser (!) — d’ailleurs, la Commission a d’ores et déjà engagé contre la France une procédure de déficit excessif… Et ce n’est pas tout : une note de Raul Sampognaro, Mathieu Plane et Xavier Ragot, publiée à l’OFCE le 24 mai 20244, révèle un écart dans le déficit de 40 milliards d’euros chaque année depuis 2017 par rapport à la trajectoire prévue, soit l’équivalent de 1,4 point du PIB !
Le ministère lui-même, c’est dire, a prévenu que le déficit pourrait atteindre 6,2% l’an prochain au lieu des 4,1% rêvés ; et noté ingénument, comme s’il n’y était pour rien, la hausse « extrêmement rapide » des dépenses des collectivités territoriales, dépenses qui « pourraient dégrader les comptes 2024 de 16 milliards d’euros » par rapport à la trajectoire de déficit adressée à la Commission5 : c’est du Mozart dans la gabegie.
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Même Pierre Moscovici (!) juge « inquiétante » la situation des finances publiques6. Et pour cause ! Le déficit public se trouve six points au-dessus des prévisions, malgré une année 2023 marquée par la fin du « quoi qu’il en coûte ». Le premier président de la Cour des comptes, pas de gauche pour rien, reproche évidemment au ministre d’avoir baissé les impôts, au lieu de les avoir augmentés ; il a tort : même là-dessus, Bruno Le Maire aura eu tout faux. Si en effet certaines recettes ont été « ralenties » en 2023-2024, notamment en matière de TVA et d’impôts sur les sociétés, les impôts sur le capital ont en revanche fortement augmenté, au moins en 2023 (+ 12,8% !), sans parler de la taxe foncière qui « reste dynamique » — pour reprendre la litote magnifique du service public7. En parallèle (car décidément, Bruno Le Maire aura eu vraiment tout faux), les dépenses publiques ont battu des records entre 2018 et 2023 : 100 milliards au total, une bagatelle ! La faute aux prestations sociales (+ 3,3%) et à la hausse des rémunérations des fonctionnaires (+ 4,6%)8 : on s’en serait douté.
Bruno Le Maire a été l’incarnation de la politique socialo-démocrate de la macronie, la plus pure quintessence de cette idéologie qui n’en est pas une, un peu socialiste, un peu libérale, ni l’une ni l’autre, en même temps l’une et l’autre. Toute son économie se sera résumée à une augmentation timide des impôts et des taxes, suivie d’une baisse plus timide encore d’autres impôts et d’autres taxes, mesures prétendument « fortes » devant servir à réguler l’explosion brutale de la dette et du déficit. Le résultat est catastrophique : cinq années de plus et c’était la banqueroute. Bon vent, Monsieur le ministre !
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