Livraison à domicile, quel que soit l’endroit, pas de problème, alignez la monnaie. Même en prison ? Des armes ? De la drogue ? Tout est possible, car tout se paie. Le mode opératoire semble bien rodé, notamment pour empêcher la police de remonter vers les clients et les patrons de ces sociétés fantômes. Ce jeune homme de 22 ans en a profité, avant d’en faire les frais à Yzeure, quand il a été interpellé dans la nuit du 30 au 31 mai dernier dans un champ à proximité du centre pénitentiaire.
Repéré par la patrouilleUne patrouille de police repère un drone au-dessus de la prison et traque l’endroit d’où il est téléguidé. Ils tombent sur un jeune Lyonnais muni d’un téléphone portable et d’une mallette, qui tente de s’enfuir à leur vue. Approché alors qu’il fumait un joint Pris en flag’, il reconnaît tout lors de sa garde à vue. À la barre du tribunal correctionnel de Moulins, mercredi 4 septembre, il explique : « J’avais des soucis financiers, des dettes, des problèmes de stupéfiants. J’ai pensé prendre de l’avance sur ma vie en faisant de l’argent. Maladroitement, j’ai essayé de me débrouiller seul ».
"50 € ? Soit vous êtes naïf, soit vous nous mentez !"Ce jeune consommateur de stupéfiants a été approché « quand il fumait un joint », raconte son avocate Me Boudet. « Il a été pris dans un engrenage. On lui a proposé des missions avec de l’argent facile. Mais une fois que le pied est dedans, c’est toujours plus et s’en sortir est quasi impossible ». Combien a-t-il gagné pour ces livraisons ? « 50 € par colis, qu’il y en ait trois ou dix ». Froncement de sourcils de la procureure : « Dans d’autres dossiers, on est plus à 1.500 voire 2.000 € la soirée. Soit vous êtes naïf, soit vous nous mentez ! » La technique est rodée : les échanges avec un compte au nom cryptique (deux lettres et un chiffre), qui est probablement « partagé entre plusieurs “commanditaires” », se font sur Snapchat. Les messages « ont été effacés dès l’interpellation », relève le tribunal. Me Boudet poursuit : « Un message précise où aller chercher le colis à un point A. Puis un autre qui dit où récupérer le drone à un point B. Puis une voiture est à retrouver à un point C. Le lieu de livraison est à un point D ».
Couteaux en céramiqueLe prévenu avance : « Je ne savais pas ce qu’il y avait dans les colis ». Il ne « savait pas » qu’il y avait des couteaux à lame de céramique et au manche en plastique, de la résine de cannabis, des téléphones, des cartes sim, des câbles de téléphone. La procureure : « Quand vous êtes à 200 g de cannabis, scotché ou pas, ça sent, vous ne pouviez pas ignorer que vous faisiez quelque chose d’illégal, qui alimente les trafics, la violence en prison, dangereux pour les agents et qui facilite les menaces sur les victimes ». Et le tribunal de rajouter : « Les couteaux, ce n’est pas pour découper la viande à la cantine. Vous encourez, pour le drone, quatre ans de prison et dix ans pour trafic de stups. Et tout ça pour 150 €, c’est tout sauf malin. On n’est pas dans un jeu vidéo ».
Une double-vie de laquelle il faut sortir : agressé, il est exfiltréLe jeune homme admet avoir livré dans d’autres prisons avant de se faire attraper dans l’Allier : Lyon-Corbas ou Villefranche-sur-Saône. Alors qu’il bosse la journée, il enchaîne une double vie la nuit : « Il finit le travail à 19 heures et se retrouve à des bornes de chez lui pour livrer ces colis à 23 heures, puis retour pour réembaucher le lendemain matin à Lyon », décrit encore son avocate. « Il n’y avait plus de discernement. Ça ne lui ressemble pas ».
Le jeune homme est fils de policier. On comprend entre les lignes que ça a sévèrement chauffé. Mais que le « dialogue » distendu entre le père et le fils a repris. Il a notamment fallu le protéger : de retour à Lyon après la garde à vue, il se fait agresser à la gare, puis subit des pressions quotidiennes. Il est alors exfiltré de la région.
Parce qu’il a fait amende honorable, qu’il est bien cadré et que son casier est vierge, le jeune homme écope de douze mois de prison avec sursis probatoire (dix mois requis), avec obligations de soins, travail, formation, stage de sensibilisation aux produits stupéfiants et confiscation des scellés, dont son smartphone.
Mathilde Duchatelle